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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/148

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Confier à l’un d’eux une terre de la couronne ! « Les paysans le tueraient avec sa fichue agriculture. » Elle tient pour le bon vieux calendrier, qu'elle aime à la folie parce que c’est celui de l’église grecque, qui est celle des apôtres, et que plus que jamais elle hait les nouveautés. Elle en veut, comme M. de Bismarck, à ceux qui écrivent ou impriment l’allemand avec des lettres françaises : « Je vous déclare que j’ai une antipathie très marquée pour cette nouvelle mode, et que je ne saurais lire ni écrire l’allemand de cette manière que je trouve ridicule. »

Il faut dire que cette aversion pour les nouveautés fut surexcitée par la révolution française ; la révolution fit une coupure profonde dans la vie de Catherine, dans celle de Grimm, dans celle du monde contemporain tout entier.


IV.

Grimm était tout préparé à détester la révolution, et à la détester tout d’abord, sans passer, comme firent tant d’autres, par une période d’illusion. Conservateur par tempérament, il était de plus ami des grandeurs, voué aux arts diplomatiques et au service des cours, attaché, enfin, et avec passion, à une souveraine autocrate. Avant l'ouverture même des états généraux, et lorsque tout le monde se livrait à des espérances sans bornes : « Je vois bien, disait-il à ses amis, que vous voulez inventer la liberté et dépasser les Anglais et les Américains ; tâchez seulement de ne pas rester derrière les Polonais. » Au lendemain de la prise de la Bastille, il voyait déjà la banqueroute mûrir, ce sont ses expressions, le mouvement passer aux mains des bandits et des polissons, et il s’offrait à prouver géométriquement que la France était perdue sans ressource. Il ne faisait d’autre grâce aux Necker, aux La Fayette, que de les tenir pour une cause innocente du mal. «Il n’y a rien de plus coupable, pensait-il, que des innocens qui se mêlent de grandes affaires, et, pour la première fois peut-être, la nécessité n’a pas créé les hommes qu'il fallait ou bien l’homme nécessaire pour sauver son pays. Tandis que les révolutions et les dissensions produisent naturellement une foule de caractères, il ne s’en est pas trouvé un seul dans ces temps calamiteux. » Sans se donner d’ailleurs des airs de devin, Grimm, en 1790, prévoyait le despotisme et la réaction comme les conséquences de l’anarchie. « Ce qu'il y a d’indubitable, c’est que les Welches sont toujours Welches, que Voltaire les retrouverait comme il les a laissés, comme ils sont depuis deux mille ans, que par l’usage qu'ils ont fait de la liberté, ils ont prouvé qu'ils y étaient propres comme la vache à danser sur la corde, et qu'à leur extravagance