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Grimm végéta pendant les deux dernières années de sa vie, et mourut le 19 décembre 1807, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Conformément à un vœu qu'il avait exprimé, il fut enterré, non pas à Gotha même, mais dans le cimetière de Siebleben, un village voisin. l’inscription gravée sur sa tombe est en allemand, et fut composée par l’aînée des filles du comte de Bueil : « Ici repose un sage, un ami dévoué; bien que mort dans un âge très avancé, il est mort trop tôt pour nous et pour le monde. » On est heureux de savoir que cette tombe de Grimm, à Siebleben, a été restaurée en 1867 par le romancier Gustave Freytag.

Grimm fut entouré et soigné jusqu'à la fin de ses jours par sa famille d’adoption et par la fidèle Marchais, qui héritèrent de ce qu'il laissa. Le comte de Bueil, sous Napoléon, avait été rayé de la liste des émigrés ; après la mort de Grimm, il rentra en France avec les siens. Ses filles, du reste, élevées en Allemagne, étaient plus Allemandes que Françaises ; l’aînée, Katinka, avait épousé un comte de Bechtolsheim.

Grimm nous a laissé son propre jugement sur sa vie : « Les trois quarts, écrivait-il au lendemain de la mort de Catherine, en avaient été tellement heureux que, si j’avais fini à propos, il aurait fallu me compter au nombre des hommes les plus fortunés, mais le dernier quart, si cruellement pénible, devait se terminer par un coup mortel et qui m’a trouvé sans défense. » Qu'ajouter à ces lignes qui ne risque d’en affaiblir le pathétique? Qu'il est poignant, en effet, le contraste entre la fortune et la ruine dont nous avons fait le récit ! Et comme on sent de quel flot d’amertume devait s’emplir le cœur du vieillard lorsqu'il jetait un regard en arrière sur les vicissitudes de ses quatre-vingts années ! Il est là, dans le fauteuil où le clouent les loisirs forcés, évoquant l’un après l’autre les souvenirs de sa carrière. c’est l’humble et pieuse maison paternelle; c’est Gottsched, et les enthousiasmes littéraires de l’adolescence ; c’est Banise, la tragédie de la vingtième année ; puis Leipzig et les leçons d’Ernesti, la diète de Francfort et le premier coup d’œil jeté sur le vaste monde. A vingt-cinq ans, le coup de tête : Grimm part pour Paris. Il y entre d’emblée et comme parmi ses pairs dans la plus brillante société intellectuelle ; cet étranger arrivé d’hier fait tous les éclats, remporte tous les succès à la fois : la brochure qui est un événement, le duel chevaleresque, la maîtresse disputée et conquise. Peu à peu, cependant, après ces effervescences de jeunesse, la raison et le travail s’emparent de sa vie. La Correspondance littéraire, qui assurera plus tard une place à Grimm dans notre littérature, rend son nom familier à la moitié des cours de l’Europe, tandis qu'une liaison, désormais consacrée par la fidélité, lui prête quelque chose du bonheur domestique.