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a réalisé, en 1883, des bénéfices tellement énormes que nous n’osons en citer le chiffre. Pourtant ses vignes sont plantées dans les terres basses des bords de la Seïbouse, qui semblent plutôt faites pour produire des céréales.

En général, les Algériens ont couru au plus pressé, visant à la quantité plutôt qu’à la qualité, plantant les terres les plus riches, les plus plates, les plus anciennement défrichées, les plus facilement labourables. Quelques-uns ont choisi des sols tellement humides qu’ils conviendraient mieux à des maraîchers qu’à des vignerons. Ce n’était pas le moyen le plus sûr de fonder la réputation des vins de la colonie. d’autres ont manqué de matériel et de soins dans la vinification. L’expérience instruira chacun. Quand on aura rectifié les erreurs inévitables, on prouvera aisément à l’Europe que l’Afrique est une terre de promesses, faite pour abreuver le monde septentrional si elle n’arrive plus à le nourrir.

Nos colons sont encore loin d’atteindre ce but de leurs ambitions. L’Algérie ne produit pas assez de vin pour sa propre consommation. Elle importe des liquides frelatés ou coupés de vins d’Espagne. Jusqu’à présent, elle n’a guère exporté que des échantillons de ce qu’elle pourra faire. Mais l’élan des dernières années vers la plantation conduit à un avenir très prochain et qui semble brillant.

La diversité des terrains, des sites et des climats sur ce sol mouvementé donne à penser qu’on obtiendra des produits très variés et propres à contenter tous les goûts. Quand on saura bien quelles contrées peuvent remplacer du plus au moins nos grands crus, on travaillera avec plus de sécurité et plus de succès.

On ne saurait assez le répéter : ce qui a le plus manqué à l’Algérie pour répondre aux espérances fondées sur elle, ce n’est ni la terre, ni le ciel, ni même toujours l’eau : c’est surtout l’homme, l’homme du métier et muni de capitaux. Ce tort, nos méridionaux, atteints par le fléau qui les désespère, semblent appelés à le réparer, ïl serait désirable de pouvoir compter sur eux pour augmenter là-bas le chiffre de la population européenne, trop clairsemée et trop peu fixée jusqu’ici.

Il faut convenir que beaucoup de prétendus vignerons n’étaient, dans notre Midi, que des propriétaires vivant en rentiers et bénéficiant du travail de leurs « bordiers, » de leurs métayers. Mais, outre que tout homme qui s’appauvrit ferait bien de se résigner au labeur même manuel, il ne serait peut-être pas impossible à un propriétaire à qui restent quelques débris de son ancienne aisance d’emmener avec lui, au-delà d’une mer qu’on franchit en trente heures, un de ses métayers restés sans emploi. c’est affaire d’organisation