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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/240

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désormais que les conditions de la paix ne peuvent pas être ce qu'elles auraient été avant la guerre, alors que la plupart des puissances, sauf l'Angleterre, entendaient maintenir le traité de Berlin à Philippopoli comme ailleurs. Cette union des deux Bulgaries qu'on refusait de reconnaître, elle a subi l’épreuve du feu, elle a été cimentée sur les champs de bataille, et pour elle les Rouméliotes ont versé leur sang aussi bien que les Bulgares de la principauté. Le prince Alexandre a eu le privilège d’être un chef militaire heureux, d’avoir pour lui la fortune des armes sans avoir été l’agresseur, et il a fait ces jours derniers à Sofia la rentrée d’un victorieux, d’un prince popularisé par ses succès. Le prince Alexandre n’a pas été seulement un soldat vaillant et heureux, il a été aussi un fin diplomate dans ses relations avec la Porte comme avec les autres puissances. Il a montré autant de prudence que de souplesse dans une situation difficile et hasardeuse, mettant tous ses soins à éviter tout ce qui aurait pu provoquer des ruptures irréparables et compromettre sans retour son entreprise. Il s’est surtout conduit habilement avec la Russie, qui avait commencé par lui témoigner la sévérité d’une ancienne protectrice mécontente et qui, après l’avoir rayé des cadres de l’armée russe, semblait résolue à l’exclure de sa principauté. Il n’a rien négligé pour désarmer la grande colère du tsar, et récemment encore à sa rentrée à Sofia, dans un ordre du jour, il faisait adroitement honneur aux officiers instructeurs russes de l’organisation première de l’armée bulgare, d’une armée qui vient de faire ses preuves. Le prince Alexandre a décidément conquis ses titres de diplomate aussi bien que de soldat, et la paix qui va être négociée ne peut manquer de lui tenir compte de ses succès, de sa position nouvelle, en reconnaissant sous une forme ou sous l'autre cette union bulgare dont il reste la vivante et brillante expression.

Soit, les Bulgares auront plus ou moins le prix de leurs victoires; mais les Serbes, tout vaincus qu'ils soient, ne subiront pas sans peine et sans résistance une paix qui sera pour eux, dans tous les cas, une cruelle déception, qui peut coûter la couronne au roi Milan. Les Grecs, qui depuis trois mois multiplient leurs armemens, ne semblent pas renoncer à leurs revendications, aux conquêtes qu'ils rêvent, et ne veulent pas avoir épuisé leurs finances pour rien. L’Europe a certes un rôle assez compliqué et assez délicat à jouer au milieu de toutes ces prétentions. Si elle reste unie, elle peut contenir tous ces élémens incandescens et imposer encore la paix. Si elle se divise comme elle l'a déjà fait à la dernière conférence, elle est impuissante à dénouer ou à maîtriser ces conflits inquiétans pour sa propre sécurité. La guerre peut recommencer au printemps, et c’est ainsi qu'avec l’année nouvelle, en dépit de la trêve qui vient d’être signée, tout reste encore assez obscur à l’orient de l’Europe.