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1880, c’était la politique de paix, la politique de recueillement intérieur. À quoi les libéraux devaient-ils leur triomphe ? À une réaction de l’esprit public contre « l’impérialisme » de lord Beaconsfield, aux défiances de la nation pour les fastueuses audaces et les soudains coups de théâtre de l’homme qui avait, en 1878, fait passer les Dardanelles aux cuirassiers anglais et qui avait simultanément guerroyé dans les gorges de l’Afghanistan et dans les jungles des Zoulous.

À une politique avant tout préoccupée du dehors, du prestige du nom anglais et de la grandeur de l’empire britannique ; à la politique vraiment impériale, toute d’éclat et de hardiesse du petit juif, drapé en lord anglais, qui semblait avoir hérité de l’âme hautaine de lord Chatham, succédait, avec M. Gladstone, une politique mi-bourgeoise, mi-démocratique, toute pratique et positive, moins soucieuse de la puissance et du renom du peuple anglais que de ses intérêts, de sa fortune, de son bien-être, ayant moins de sollicitude pour l’immense empire, dispersé dans les quatre parties du monde, que pour les trois petits royaumes abrités par la mer à une extrémité de l’Europe. Le suffrage populaire, déjà grossi dans les bourgs par l’avant-dernière réforme électorale, avait déclaré que l’Angleterre n’était pas assez riche pour payer les conquêtes exotiques de lord Beaconsfield. Sans bien s’en rendre compte, le homehold suffrage reprochait à Disraeli et aux tories, rajeunis par l’ingénieux Sémite, d’avoir trop négligé la brumeuse île natale pour le radieux héritage du Grand Mogol. Il ne lui pardonnait point d’avoir paru sacrifier le positif à l’idéal, le solide au brillant, la vieille Angleterre à ses dépendances extra-européennes, le royaume-uni à l’empire, la Grande-Bretagne à la Greater-Britain. Aussi, l’ambition avérée de M. Gladstone et de ses amis était-elle de « liquider » dans les deux hémisphères les entreprises de leurs prédécesseurs, de se débarrasser au plus vite des multiples affaires entamées par eux en Europe, en Asie, en Afrique, pour se consacrer tout entiers au vieux sol britannique, à la pacification de l’île sœur, au land-bill irlandais et, par-dessus tout, à la réforme électorale.

Tel était manifestement l’intime désir de M. Gladstone et de tous ses collègues, whigs ou radicaux. Par malheur, l’événement a montré que, en pareille matière, la volonté et la persévérance étaient insuffisantes. Le cabinet libéral n’a pu tenir toutes ses promesses. En dépit des efforts de M. Gladstone et de lord Granville, l’Angleterre n’a pas réussi à se dégager de la politique coloniale. Ils ont eu beau carguer les voiles de l’orgueilleux vaisseau britannique, ils n’ont pu jeter l’ancre dans les eaux tranquilles où ils s’étaient flattés de le maintenir. s’il est demeuré fidèle à ses principes, M. Gladstone n’a pas toujours été maître de les appliquer. Sur plus d’un point, en plus d’une contrée, il n’a pu se dérober aux annexions, aux occupations,