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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/297

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enlève à notre force militaire. La racine, la vigueur, la substance de notre nation résident dans le territoire strictement limité des îles britanniques, et sont, sauf dans des détails presque insignifians, indépendantes de toute sorte de domination politique en dehors de ces îles. Cette domination ajoute à notre-renommée, en partie, par suite de sa grandeur morale et sociale, en partie parce que les étrangers partagent les superstitions qui règnent encore parmi nous et pensent que le principal secret de notre force réside dans la vaste étendue et le grand nombre de nos territoires éparpillés. » Il y a, sans doute, une part de vérité dans ces assertions de l’adversaire de Beaconsfield, mais il y a aussi, pour l’Inde notamment, une exagération si manifeste, que, dans la même étude, M. Gladstone en venait à confesser lui-même ce dont il s’indignait dans la bouche des tories[1].

Tout en se révoltant avec une sorte de fierté insulaire contre la superstition des Anglais ou des étrangers qui font dépendre de l’Inde la grandeur de l’Angleterre, M. Gladstone était contraint d’admettre que l’Angleterre n’était pas libre de rompre son mariage avec son « partner » oriental. Ainsi concluent, du reste, la plupart des Anglais les plus disposés à faire fi de la grande péninsule asiatique. Lorsque, dans l’opposition, M. Gladstone avouait l’impossibilité actuelle pour l’Angleterre d’abandonner l’Inde, il était en désaccord avec les conservateurs sur les moyens de la conserver. À ses yeux, — et sur ce point, le grand libéral philanthrope nous semble avoir raison pour l’avenir, si ce n’est encore pour le présent ; — à ses yeux, le maintien de la domination anglaise aux Indes n’est pas une simple question militaire que la force seule puisse trancher, mais une question morale dont la solution définitive dépend, avant tout, du consentement des deux cent cinquante millions d’Indous et des sentimens que l’Angleterre leur saura inspirer. Quant aux périls du dehors, quant à la crainte d’une invasion russe dans les plaines de l’Inde, M. Gladstone, dans ses écrits ou ses discours, la traitait d’absurde et de ridicule. En vain les alarmistes lui montraient-ils les soldats du tsar s’avançant pas à pas dans les steppes du Turkestan. « Je ne redoute point l’extension de la Russie en Asie, répondait l’impétueux orateur du Midlothian ; ce sont là pour moi des craintes de

  1. « Cette domination nous impose les devoirs les plus pesans et les plus solennels, devoirs qui ne sont nulle part plus pesans et plus solennels qu’aux Indes. Nous avons librement épousé la fortune de ce pays et nous sommes tenus par l’honneur de ne jamais demander le divorce. Tout en protestant donc contre ce qu’il y a de déshonorant dans la doctrine qui s’attache à faire dépendre l’Angleterre des Indes, je suis cependant d’accord avec ceux qui partagent cette idée, en ce sens que je reconnais pleinement que nous sommes tenus de considérer le maintien de notre puissance aux Indes, dans les circonstances actuelles, comme une nécessité capitale de l’honneur national. » (The Nineteenth Century, août 1877.)