tomes n’était jamais lu à Paris que si la province avait décidé de son mérite. Jamais le commerce n’avait autant enrichi Lyon, Bordeaux, Marseille, Nantes, que sous le règne de Louis XVI. La vie mondaine de la bourgeoisie était brillante ; on y jouait beaucoup la comédie de société, et si le goût établissait des différences inévitables, l’honnêteté et le bon ton n’en créaient pas. La probité légendaire des grandes maisons commerciales, l’originalité plus accusée peut-être des caractères, mettaient plus en relief la vigueur morale du haut monde bourgeois. Mais aussi il se trouvait directement face à face avec la noblesse provinciale, qui s’efforçait de plus en plus de racheter par la morgue des manières une importance effacée et qui trouvait, dans des privilèges de vanité, des compensations à une fortune déchue.
Maintenant que nous connaissons les personnages, écoutons-les parler et voyons-les agir.
La révolution sociale de 1789 ne fut que la fin logique et attendue des efforts persistans des classes moyennes depuis plusieurs siècles. Quand l’heure eut sonné, la haute bourgeoisie fut unanime sur ce point qu'il fallait résolument substituer aux institutions aristocratiques et féodales un état nouveau, simple, uniforme, ayant pour base l’égalité des conditions. Même ceux qui, sur les théories politiques, étaient en désaccord, parce qu'ils étaient plus instruits, comme Meunier, Malouet, partageaient, sur les théories civiles, les idées communes. Bien avant la convocation des états-généraux, bien avant le 14 juillet et le 4 août, la révolution était faite dans leur esprit et dans leurs mœurs. Tenant aux deux extrémités de la société française, la classe moyenne écoutait et jugeait toutes les critiques et toutes les plaintes, toutes les colères et toutes les souffrances.
Plus d’une cause chez elle fit éclater la révolte, mais aucune de ces causes ne fut plus puissante que les souffrances de l’amour-propre à chaque instant exaspéré. Qui le croirait? La mauvaise administration des finances, les lettres de cachet, les abus de l’autorité, les lenteurs ruineuses de la justice n’eussent pas fait éclater la révolution. L’inégalité des rangs et du droit n’était plus acceptée par la conscience. La bourgeoisie ne pardonnait plus à l’ancien régime la place inférieure qu'elle y occupait. En province, les froissemens étaient quotidiens. Les femmes les ressentaient encore plus vivement que leurs maris. Qui ne se souvient de l’affront fait à la mère de Barnave au théâtre de Grenelle par le duc de Clermont-Tonnerre, et l’injure lancée par le comte de Chabannes à Lacroix, qui donnait