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de l’eau et sauver la difficulté des abords du côté de la terre, de façon à réaliser à la Enseñada le port le plus pratique, le plus commode, le plus attirant du pays et des pays circonvoisins. Ici tout dépendait du mérite et de la sagacité du constructeur.

Le docteur Rocha a eu la main heureuse pour le choix de son collaborateur technique dans cette œuvre considérable, la plus considérable qui ait été encore réalisée dans l’Amérique du sud. Il engagea en Hollande, pour formuler le projet, un ingénieur qu'ont rendu célèbre les nouveaux ports d’Amsterdam et de Batavia, qui sont tous deux de sa façon. M. Waldorp, après avoir étudié le terrain avec la sûreté de coup d’œil que donnent un talent solide et une vieille expérience, eut vite pris son parti. Il n’est pas de meilleure façon de faire plaisir à un ingénieur hollandais que de lui donner des marais à rendre habitables. À l’instant, mille ressources se présentent à son esprit. Laissant de côté l’arroyo Santiago, qui ne lui eût fourni qu'un boyau étranglé, et renonçant à établir des constructions à la mer, dont l’approche eût été défendue par des fondrières, M. Waldorp résolut de placer son bassin principal dans les terres, à un bon kilomètre du rivage et au beau milieu précisément des mares et des joncs qui rendaient ce parage célèbre par l'abondance des moustiques et des canards sauvages, mais avaient réduit la Enseñada jusqu'alors à une existence si languissante. Cette idée était une trouvaille. Outre que les travaux de fouille (pour lesquels on n’avait à se préserver que des eaux d’infiltration) s’exécutaient plus économiquement, les terres extraites de l’excavation venaient à point pour remblayer la plaine. Le port, en se creusant, fournissait lui-même les matériaux de la plate-forme sur laquelle devaient s’installer les immenses docks et les nombreuses voies ferrées nécessaires à son service.

Ce bassin aura 1,150 mètres sur 140 au plafond, ce qui représente 2,200 mètres de développement de quais. C’est tout ce qu'il faut pour le quart d’heure, mais on a eu soin de se réserver assez d'espace pour tripler cette capacité. La disposition du port en bassins creusés en pleine terre rend aisés les élargissemens à mesure qu'ils deviendront nécessaires. Il est relié à la mer par un canal en ligne droite en partie ouvert à sec, à l’excavateur, en partie dragué. Par un hasard heureux, ou plutôt par une conséquence prévue des phénomènes géologiques qui ont présidé à la formation de la baie, ce canal traverse des terrains argileux assez compacts pour qu'il ne puisse être obstrué par les éboulemens, assez faciles à tailler pour que soit l’excavateur, soit la drague, y donnent de beaux rendemens. On a pu sans inconvéniens, étant données ces facilités de travail, lui faire traverser une île à demi submergée qui se trouve dans sa direction, et qui, le sol en étant relevé du même coup, enclôt