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non pas certainement au point de vue de l’art, qui a ses droits, mais au point de vue des conditions d’exécution de toute œuvre humaine. On a voulu trop faire d’un coup.

Ce n’est pas tant l’argent qu'ils ont coûté qui représente une fausse manœuvre. Au règlement de comptes de décembre 1884, en deux ans, on n’avait déboursé de ce fait qu'une dizaine de millions de francs. Dans ce chiffre n’entrent point quelques somptueux bâtimens provinciaux, ceux par exemple élevés par la Banque de la province et la Banque hypothécaire, qui, bien qu'établissemens d'état, ont un budget particulier, ou les immenses constructions du chemin de fer de l’Ouest, qui appartient à la province, mais jouit aussi de ressources propres et travaille avec ses deniers. Dix millions ne sont pas une dépense exagérée si l’on ne considère que l'importance de l’entreprise et le but qu'on avait en vue ; mais, sur un point où la veille il n’y avait ni un ouvrier ni une brique, des travaux de bâtisse menés avec cette fougue avaient l’inconvénient de paralyser les travaux particuliers. Ce qui constitue une capitale, ce ne sont pas les palais, ce sont les maisons. Des palais, il est toujours temps d’en faire. Se figure-t-on ce qu'un pareil cube de maçonnerie exige de milliers de briques? Un nombre effrayant. On avait beau en produire fiévreusement, autour de La Plata, des centaines de mille par jour, — le faubourg où ont été concentrés les fours à briques n’a jamais cessé d’occuper depuis sa fondation et occupe encore 5,000 ouvriers, — on avait beau en faire venir de plusieurs lieues à la ronde et encombrer les chemins de fer, le gouvernement n’en avait jamais assez. Il ne se portait pas seulement, comme entrepreneur, un préjudice direct en faisant hausser le prix des matériaux et des salaires ; il en recevait un plus considérable de l’hésitation qu'éprouvaient les propriétaires prudens à bâtir dans ces conditions.

Il fallait pourtant des logemens. Il en fallait pour les employés qui allaient venir, pour la population ouvrière, qui affluait, pour les commerces indispensables à toute agglomération d’hommes. Aux États-Unis, où le cas qui se présentait là est fréquent, on a un moyen de tourner la difficulté. C’est l’installation de maisons de bois transportées de loin à peu de frais et montées en un clin d'œil. Les particuliers ne négligèrent point cette ressource. Tout ce qu'il y avait de planches et de tôles ondulées à Buenos-Ayres y passa. Le gouvernement même fit venir de l’Amérique du Nord des chargemens entiers d’habitations toutes faites. On les fabrique là-bas aussi couramment que de la toile. Il les louait à bas prix à ses employés, qu'il tenait à attirer le plus tôt possible aux abords de leurs nouveaux bureaux. Si ces logemens n’avaient rien de monumental, ils ne laissaient pas d’être bien entendus et confortables.