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qui ont reconquis une force évidente au Palais-Bourbon, qui représentent trois millions et demi de voix, peuvent intervenir d’une façon aussi sérieuse que décisive. Jusqu’ici, à dire toute la vérité, ils n’ont pas été bien heureux. Ils n’ont pas vu qu’ils se seraient fait honneur et qu’ils auraient peut-être trouvé quelque profit à voter les crédits du Tonkin en conciliant, par les explications qu’ils auraient pu donner, ce qu’ils devaient à la dignité du drapeau et ce qu’ils devaient aussi aux inquiétudes du pays. Ils n’ont pas fait tous les efforts qu’ils auraient pu faire contre ces invalidations, qui ne sont qu’une œuvre vindicative de parti, qui ne seraient admises dans aucun parlement. Ils en sont encore à chercher leur voie. La question est maintenant pour eux de se tracer un système de conduite, un plan de campagne. S’ils entendent engager une lutte de principe contre les institutions, opposer la monarchie à la république, il est certain qu’ils sont exposés à se diviser eux-mêmes, à s’épuiser en efforts stériles dont le seul effet peut être de rallier tous les républicains. Ils peuvent, au contraire, avoir l’action la plus sérieuse, la plus utile, en restant dans les limites de ce qui est possible, en dévoilant sans trêve le danger de la politique des connivences révolutionnaires suivie jusqu’ici, en défendant pas à pas l’ordre dans les finances, l’équité et la paix dans les affaires religieuses, les principes d’une saine organisation dans les affaires militaires. C’est leur rôle ; c’est, après tout, le seul mandat qu’ils ont reçu, et c’est pour eux le moyen le plus sûr d’obliger les républicains à compter avec eux en demeurant devant le pays les vrais gardiens de ses intérêts, de sa sécurité, de son repos intérieur, de sa bonne renommée dans le monde.

Les révolutions violentes, comme notre pays en a tant vu déjà, ont cela de cruel qu’elles dévorent les hommes sans leur laisser le temps de remplir leur destin, et qu’en dévorant les hommes, avec une meurtrière rapidité, elles épuisent la France. Les autres nations sont moins exposées à ces crises périodiques qui emportent d’un seul coup toute une génération. Elles gardent leurs serviteurs de toutes les opinions, ceux qui les ont honorées dans le malheur comme dans la prospérité, et elles n’ont pas l’étrange fantaisie de se mutiler elles-mêmes à chaque étape de leur vie publique. Kn France, tous les quinze ans, tous les dix-huit ans si l’on veut, c’est à recommencer. Du jour au lendemain la scène change, une génération a disparu, et les partis triomphans sont les premiers à exclure passionnément ceux qui les ont précédés, à prétendre régner sans partage, — jusqu’à la révolution nouvelle, où ils disparaîtront à leur tour. Les hommes ne font que passer : la veille encore ils servaient au premier rang, ils étaient la force et l’espoir de l’état, le lendemain ils sont bannis des affaires publiques, rejetés dans l’inaction avec tout ce qu’ils ont pu acquérir de lumières, d’expérience, d’autorité et de talens. Une révolution les a