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les Sermons laïques de Huxley, il se définit surtout par une idée négative, qu’on a formulée ainsi : « la doctrine de celui qui veut ignorer. » On assure que cette doctrine s’insinue peu à peu dans les classes supérieures et qu’elle s’accorde à merveille avec une culture très raffinée, qu’un grand nombre de penseurs, de savans, d’hommes d’état, d’écrivains acceptent ce nom ; on ajoute qu’il n’est pas rare de rencontrer des femmes de pasteurs qui se déclarent agnostiques. Un souvenir qui m’est personnel m’autorise à le croire facilement. Il m’est arrivé de rencontrer, en 1884, au jubilé de l’université d’Édimbourg, un homme très éclairé, agréable et brillant causeur, qui, s’il ne se décorait pas du nom, se parait volontiers de l’idée. Dans un long entretien que nous eûmes ensemble, il s’efforçait de me convaincre qu’en nous faisant l’un à l’autre quelques concessions de forme, nous finirions par nous entendre. Je ne fus pas médiocrement surpris quand je sus le nom et la profession de mon interlocuteur. C’était un ministre du culte, professeur de théologie dans une célèbre université anglaise. J’eus l’indiscrétion de lui demander comment, avec sa manière de concevoir ou plutôt de ne pas concevoir le principe des choses, il pouvait se tirer d’affaire avec les âmes dont il avait la tutelle : « Très facilement, me répondit-il, en proportionnant l’inconnaissable à la portée de chacun, en le désignant sous le nom que chaque intelligence connaît. » En me disant cela, il souriait finement. J’avais devant moi le type accompli de l’agnostique. « Un nom bien choisi, dit Mathew Arnold, le célèbre professeur d’Oxford, vaut à lui seul une armée. » Et, de fait, il n’en est pas de mieux choisi que celui-là, de moins compromettant, de plus inoffensif. L’athée, par son nom seul, fait du scandale ; le matérialiste est un dogmatique à sa manière, un métaphysicien à rebours ; le panthéiste est une sorte d’illuminé, ivre de l’infini. L’agnostique est modeste, il laisse dire. Ce nom honnête et décent le dérobe aux violences d’idée, aux enquêtes irrespectueuses des intolérans. On l’appelait libre penseur au dernier siècle, mais un terme pareil appelle la polémique, qu’il veut avant tout éviter. En attendant que la lumière se fasse (et il est bien convaincu qu’elle ne se fera jamais dans cet ordre de questions), il considère comme du temps perdu chaque jour, chaque heure consacrés à ces vaines curiosités. Pasteur ou industriel, membre du parlement ou grand propriétaire, il remplit ses fonctions dans l’état ou dans la science sans se distinguer au dehors de ceux qui pensent autrement que lui. Indifférent de parti-pris sur le fond des choses, il est dans une excellente posture pour faire de la conciliation entre la science et la religion. Il l’essaie souvent, et c’est à des tentatives de ce