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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/495

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Or, de toutes les sources diverses d’information résulte la preuve que c’est l’abandon et la défiance du dogmatisme qui domine, à l’heure qu’il est, dans cette région des esprits. Mais encore y a-t-il bien des distinctions à faire, bien des nuances à observer, sinon d’opinion, du moins de caractère et d’attitude ; chacun y met l’empreinte de sa personnalité. Une négation commune peut être sentie ou exprimée de mille manières différentes, selon qu’elle est acceptée avec résolution comme un défi aux vieilles erreurs, avec résignation comme la dernière concession à l’esprit nouveau, avec douleur ou avec joie quand elle éveille un sentiment de regret ou qu’elle répond à un instinct d’émancipation. Toutes ces variétés existent et se développent sous nos yeux ; il n’est pas sans intérêt de les démêler sans prétendre les ramener, comme on le fait en Angleterre, à des catégories précises qui, d’ailleurs, les dénatureraient en gênant leur libre jeu et leur naturelle expression.

Parmi les adversaires des vieux dogmes, nous devons faire une place, non pas certes à tous les savans (plusieurs et des plus illustres restent persuadés qu’il n’y a rien d’incompatible entre les croyances et la science positive), mais à un certain nombre d’entre eux, d’un tempérament belliqueux et d’humeur envahissante, prêts à déclarer que tout problème qui est en dehors de la science positive est en dehors de l’esprit humain. Ils saluent par des cris de triomphe, peut-être prématurés, la chute prochaine de ces doctrines, dont la persistance les inquiète sourdement. À toutes les questions qu’agitait de tout temps la curiosité spéculative, ils ne souffrent aucune réponse et se satisfont pleinement à n’en pas avoir ; ils se réjouissent de voir le monde intellectuel entrer de plus en plus dans les voies que lui ont ouvertes les Darwin et les Huxley. Pour leur compte, ils sont bien décidés à mettre la métaphysique et la théologie non pas seulement à la porte de leur laboratoire, ce qui est leur devoir, ou à la porte de leur vie, ce qui est leur droit, mais aussi et du même coup en dehors de la vie des autres, de la vie privée et publique de leurs concitoyens, ce qui est un droit moins évident. À peine délivrés du spectre de l’intolérance, qu’ils n’ont jamais cessé de dénoncer, quelques-uns d’entre eux deviennent les plus parfaits des intolérans. Contre ceux qui pensent autrement ils retournent leur certitude toute négative comme une arme meurtrière. La vérité ou ce qu’ils croient être la vérité leur confère le droit souverain d’expropriation sur les consciences ; ils ont une telle haine du dogmatisme, que cette haine devient un dogme à son tour, et le plus redoutable des dogmes.