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recherche s’arrête, puisque nulle part nous n’avons trouvé à l’origine la trace d’un principe intelligent, le vestige moral d’un dieu. L’univers se révèle à nous comme un grand phénomène diversifié à l’infini. La seule explication que l’on en pourra tenter sera donc une explication mécanique. C’est à quoi prétend pourvoir la théorie de l’évolution ; elle complète la théorie de l’Inconnaissable. On ne peut plus demander la raison du monde qu’à la nécessité mathématique qui exclut toute intention à l’origine, toute prévision, toute liberté, tout amour et toute bonté. Ainsi le veut la logique du déterminisme. Ainsi le veut la considération exclusive des faits, qui sont l’élément réel, la vraie substance des idées. C’est autour de cette théorie que se groupent, à l’heure qu’il est, les adhésions enthousiastes et les espérances confuses de cette foule ardente d’esprits inégalement cultivés qui rêvent l’émancipation définitive des anciens jougs de doctrine et l’abolition des idolâtries du passé. Ils acclament de confiance Herbert Spencer, sans l’avoir toujours compris, quelquefois sans l’avoir lu. Mais la pensée d’Herbert Spencer et de ses savans disciples n’en garde pas moins son prix, comme une vaste synthèse philosophique, malgré ces hommages compromettans, et c’est elle seule que nous devons considérer, sans tenir compte de ce qui pourrait la discréditer par les emplois vulgaires qu’on en fait ou les ambitions très positives, d’ordre politique plutôt que scientifique, qu’elle provoque.

L’évolution représente le plus grand effort de généralisation scientifique et philosophique qui ait été fait dans ce siècle, depuis Hegel. Elle a rempli ces vingt-cinq dernières années du bruit de son orageuse naissance, des controverses qu’elle a soulevées, de sa popularité croissante et de son active propagande, de sa fortune, enfin, arrivée à ce point où, selon la loi de l’évolution retournée contre elle-même, elle devrait décroître. Elle n’en est pas là pourtant, il s’en faut. Nous l’avons vue naître sous la forme restreinte de la doctrine de la variabilité des espèces et des lois de la sélection, dans les premiers ouvrages de Darwin et de Wallace, puis se développer sous la forme de la théorie de la Descendance de l’homme, dans les derniers ouvrages du grand naturaliste anglais, enfin s’élargir à la taille d’une vaste spéculation, hypothétique et synthétique à l’excès, dans les Premiers Principes de Spencer, qui a recueilli toutes ces théories, qui en a déduit les dernières conséquences et les a poussées jusqu’à leur terme. Enrichie de ces larges et puissantes alluvions, accrue chaque jour par les études les plus diverses et la collaboration passionnée d’un certain nombre de savans, cette grande hypothèse descend maintenant le cours du siècle comme un grand fleuve qui entraîne les intelligences rebelles à la