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le trône de sa sombre grandeur pour se dégager de tous les dogmatismes. » On a beau se dire que c’est là une belle figure, il y a quelque chose de plus, la vision de je ne sais quelle puissance nouvelle et formidable. Le progrès se marque dans Spencer, qui cependant ne fait que développer d’abord les prémisses du positivisme. Au terme de la science, il reconnaît un mystère ; il le reconnaît également au terme de la religion ou de la métaphysique ; il constate que le monde, avec tout ce qu’il contient et tout ce qui l’entoure, est une série de phénomènes qui veut une explication : des deux côtés, il arrive à la nécessité de l’affirmation d’un mystère. Au-delà de toute chose sentie ou connue on rencontre l’omnipotence et l’universalité de quelque chose qui passe l’intelligence. Ce mystère cache et révèle à la fois, sous le nom de l’absolu, une réalité transcendante. D’abord, force aveugle indifférente, sans relation avec nous, ce noumène mystérieux grandit ; il finit par laisser tomber quelques-uns de ses voiles, par laisser percer, si peu que ce soit, l’obscurité sacrée où il résidait comme le fantôme de l’abstraction. Dernier élément commun de la science et de la religion, on dit de lui qu’il est une force aveugle ; mais qu’en sait-on ? Au fond, nous ne savons ni si elle est aveugle, ni si elle est clairvoyante. C’est une réalité, mais incompréhensible. Ce n’est déjà plus l’absolu néant, c’est l’absolu impénétrable dans son essence, inaccessible à nos moyens d’investigation, à notre faculté de connaître. En lui se résument, comme dans une réalité suprême, les dernières idées de la métaphysique et de la science, autant de symboles révélateurs : la force, l’espace, le temps, lesquelles, expliquant tout le reste, demandent elles-mêmes une dernière explication. On a beau dire, dans le langage positiviste, que l’absolu est inconnaissable sous le côté logique, il ne l’est pas autant sous le côté psychologique : « Nous en admettons tacitement l’existence, dit Spencer ; ce seul fait prouve qu’il a été présent à notre esprit, non en tant que rien, mais en tant que quelque chose. » Nous sommes en face d’une double impossibilité : l’impossibilité logique du relatif tout seul pour exister et pour être conçu, s’il n’est pas en relation avec l’absolu qui le définit et, en même temps, le soutient ; l’impossibilité psychologique de nous défaire de la conscience d’une réalité, cachée sous les symboles. Au terme de ce raisonnement, par une sorte d’ascension dialectique, apparaît la nécessité de croire à un premier principe, à une première cause. Et ainsi se reconstruit, peu à peu, par un travail évolutif inverse, un ensemble de conceptions qui, bon gré mal gré, ressemble singulièrement à ces idées de l’ancienne métaphysique, tant de fois proscrites, si sévèrement condamnées.