diplomatie et sa police aux aguets lui eussent livré les secrets de l’entrevue : « La France, disait-il, lorsqu’il fut fixé, d’une main nous présente des notes calmantes, et, de l’autre, elle nous laisse entrevoir la pointe de son épée. »
Les souverains du Midi s’étaient tous portés sur le passage de Napoléon III, des manifestations s’étaient produites le long de son parcours, les sentimens particularistes menaçaient de prendre le dessus en Allemagne : il était temps de relever le prestige de la Prusse par un fier langage et de violens procédés.
On songeait à mettre le cabinet de Vienne et la cour des Tuileries en demeure de s’expliquer catégoriquement sur les résolutions arrêtées entre les empereurs. On devait notifier à la France qu’elle n’avait aucun droit de s’occuper des stipulations de Prague ; cette thèse serait affirmée à Vienne et M. de Beust aurait à préciser les griefs qu’il avait à formuler sur la non-exécution du traité de paix. Telles étaient, au dire de M. de Savigny, les résolutions auxquelles on s’arrêtait à Berlin. Ce n’était pas tout, des ordres seraient don nés pour hâter les préparatifs d’une entrée en campagne ; on parlait aussi d’un voyage du roi à Pétersbourg dès le retour de Crimée de l’empereur Alexandre et de la réunion des souverains allemands à Bade afin d’opposer d’éclatantes démonstrations à celle de Salzbourg. On voulait être militairement et diplomatiquement préparé à toutes les éventualités, car on croyait savoir qu’au moment où le comte de Goltz apportait à Ems des déclarations tranquillisantes, l’empereur et ses ministres songeaient à la guerre et la préparaient. Aussi M. de Savigny était-il en proie à de sombres prévisions ; il désespérait du maintien de la paix, après cette épreuve nouvelle qu’allaient avoir à traverser les relations de la France et de la Prusse. Il croyait, comme toute la diplomatie prussienne, qu’en cas de conflit l’Autriche serait vouée à l’impuissance. Il pensait que la Russie, qui dépensait des millions pour ses menées panslavistes, ne laisserait pas échapper l’occasion pour arriver à ses fins et qu’elle soulèverait tous les élémens slaves de la monarchie autrichienne. Il était convaincu que, si le comte de Bismarck, poussé à bout, décrétait la constitution unitaire de 1849 et proclamait l’Allemagne, toutes les populations allemandes de l’empire des Habsbourg subiraient l’attraction et se feraient représenter au parlement comme en 1848[1].
- ↑ Dépêche d’Allemagne. — « L’ambassadeur d’Angleterre à Berlin, qui a passé ici, m’a parlé des inquiétudes que l’entrevue de Salzbourg a soulevées à la cour de Prusse. Il ne les partage pas ; il trouve naturel que deux souverains si directement menacés aient à cœur de s’entendre sur les éventualités de l’avenir. Mais il doute que le chancelier se soumette à une interprétation restrictive du traité de Prague, lui serait-elle notifiée dans la forme la plus courtoise et serait-elle conçue dans l’esprit le plus large en ce qui concerne les faits accomplis en Allemagne. L’ambassadeur de la reine est convaincu d’une entente entre la cour de Prusse et la cour de Pétersbourg, mais il croit que le cabinet de Berlin ne se prête qu’à regret à une alliance avec la Russie, il en sent tous les inconvéniens, ne serait-ce que celui de s’aliéner l’Angleterre. D’après lui, M. de Bismarck préférerait de beaucoup se rattacher à l’Autriche, serait-ce au prix de sacrifices. Il aurait entendu plus d’une fois des diplomates prussiens regretter qu’en 1866 on ait cédé aux passions irréfléchies de la victoire pour rompre violemment les liens qui rattachaient l’Autriche à l’Allemagne. Il sait que de nombreuses démarches ont été faites, sous toutes les formes et par divers intermédiaires, en vue d’une réconciliation. Il croit que, n’ayant pas réussi par la persuasion, on cherche aujourd’hui, en désespoir de cause, à impressionner et à ramener le gouvernement impérial par la terreur de la Russie, prête à soulever les populations slaves de la monarchie autrichienne. M. de Beust aurait on main les preuves les plus compromettantes pour la diplomatie russe, telles que des lettres du comte de Stackelberg, saisies en Gallicie, sur des émissaires moscovites. »