Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/554

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traités de la plume et de la parole. « Les gouvernemens étant liés, disait-il, c’est aux représentans de la nation de rejeter des conventions qui menacent les états du Sud dans leurs droits, dans leur liberté, dans leur bien-être, et qui, si elles étaient votées, conduiraient fatalement à une conflagration générale. » Il contestait les titres de la Prusse à la suprématie de l’Allemagne, il énumérait tous les avantages sociaux, civils et politiques que le Midi avait sur le Nord, et il démontrait, se laissant aller à de patriotiques invocations, combien il faudrait être aveugle pour sacrifier ces bienfaits à la Prusse qui venait de ravager et de rançonner l’Allemagne. « Si nous descendions au rang de vassaux, ajoutait-il, nous serions les premiers envahis ; mieux vaut conserver notre indépendance, et en restant neutres, abandonner à leur dangereuse témérité, ceux qui ont inscrit sur leur drapeau les mots de fer et de sang. »

Tel était le tableau qu’en 1867 présentait l’Allemagne ; elle cédait aux passions, aux ressentimens ; elle traversait de mauvais jours dont le souvenir lui pèse et qu’elle renie aujourd’hui. Les peuples glorieux sont comme les individus arrivés à une haute fortune : ils n’aiment pas qu’on leur rappelle leurs misères passées.

La circulaire du 7 septembre n’en avait pas moins produit tous ses effets ; par l’énergie dédaigneuse de son langage, elle avait froissé la France, flatté les passions allemandes et contraint les gouvernemens du Midi à se consacrer énergiquement à la ratification des traités qui les enchaînaient aux destinées de la Prusse.

Cette nouvelle campagne diplomatique, bien qu’elle n’eût ni les proportions ni le retentissement de celles qu’avaient provoquées l’affaire du Luxembourg, l’article 5 du traité de Prague et l’entrevue de Salzbourg, ravivait nos appréhensions toujours prêtes à s’atténuer. Elle révélait un parti-pris de subordonner en toute occasion les relations de la Prusse avec la France aux passions germaniques. Une politique aussi turbulente, aussi exclusive, toujours aux aguets des moindres prétextes, s’affirmant dédaigneusement aux dépens de nos intérêts et au mépris de nos susceptibilités, rendait la tâche bien ardue au gouvernement de l’empereur ; elle devait, d’incidens en incidens, amener des complications et aboutir à des catastrophes. La France et la Prusse étaient comme deux convois, partant de points opposés, lancés sur la même voie par une erreur funeste. Personne ne voulait du choc, on s’écriait, on renversait la vapeur, on serrait les freins, mais l’effort était inutile, l’impulsion venait de trop loin ; il fallait qu’un immense holocauste fût offert à la folie humaine[1].


G. ROTHAN.

  1. M. Prévost-Paradol, la France nouvelle.