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avait su résister aux décrets de la Convention, qui proclamaient l’affranchissement des nègres. Elle maintint ainsi dans son sein l’ordre et la prospérité, faisant respecter en même temps, dans les mers de l’Inde, le pavillon français. On était fort patriote à l’Ile-de-France : notre arrivée y excita un intérêt général. Après quarante jours de relâche, nous fîmes voiles pour la Nouvelle-Hollande le 25 avril 1801. Je ne raconterai pas toutes les épreuves de cette campagne d’exploration, une des plus pénibles, mais en même temps une des plus instructives que j’aie faites. Aucune misère ne nous fut épargnée : dyssenterie, scorbut, manque de vivres, privation d’eau, tout ce qui peut aigrir les caractères et décimer un équipage fut notre lot, comme il avait été celui de l’expédition de d’Entrecasteaux. Vers la fin de l’année 1802, nous avions reconnu la terre de Lewin, jeté l’ancre dans la baie des Chiens-Marins, relâché deux fois à Timor, exploré la côte de Van-Diémen : on ne saurait se faire une idée de l’état de délabrement et de dénûment général auquel nous étions réduits. La saison était rigoureuse et nos pauvres matelots manquaient de vêtemens : ceux qu’on avait embarqués en France se trouvaient trop petits pour des hommes dans la force de l’âge ; ils auraient à peine convenu à des enfans. Quant aux vivres, nous n’avions que du biscuit rempli de vers, des salaisons pourries, du riz germé ; pour toute boisson, une eau-de-vie de riz nauséabonde qu’on appelle arack. Lorsque les souffrances et les privations furent arrivées à un point tout à fait intolérable, le commandant reconnut la nécessité de suspendre notre exploration et d’aller chercher les moyens de la poursuivre à l’établissement anglais de Port-Jackson, situé sur la côte orientale de l’Australie. Nous fûmes accueillis avec une grande cordialité à Port-Jackson : le gouverneur était le capitaine King, de la marine royale britannique, ancien lieutenant et collaborateur fort distingué du célèbre Cook. Fondée au commencement de l’année 1788, la colonie comptait alors quatorze années d’existence. Dans cette jeune colonie jetée au bout du monde nous trouvâmes toutes les ressources nécessaires pour nous réparer et nous ravitailler. Le 18 novembre, nous mîmes à la voile et reprîmes l’exploration de la côte méridionale de la Nouvelle-Hollande. La reconnaissance du sud achevée, nous entreprîmes celle de l’ouest et du nord-ouest. Le 7 mai 1803, après une campagne beaucoup plus fructueuse que les campagnes des deux années précédentes, nous relâchions de nouveau à Timor.

« Le 3 juin, nous quittâmes Timor avec l’intention de visiter la côte septentrionale de la Nouvelle-Hollande, principalement le golfe de Carpentarie. La saison était malheureusement contraire à nos projets : les vents soufflaient avec force de l’est. Nous luttâmes courageusement pendant un mois. Le commandant finit par