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mois de février 1805, la canonnière no 97 reçut l’ordre d’opérer son désarmement ; l’enseigne de vaisseau Baudin passa sans regret de ce bâtiment, qui satisfaisait peu ses instincts de marin, non plus comme capitaine, mais comme simple officier de quart, sur la Diligente, charmante corvette armée de vingt canons et citée pour sa marche tout à fait supérieure. L’été de 1805 se passa néanmoins sans qu’aucune circonstance vînt seconder le désir d’activité d’un officier qui commençait à sentir ses forces et qui cherchait avec ardeur l’occasion de montrer ce qu’il savait faire. L’escadre sortit deux fois : ce fut pour aller mouiller sur la rade de Berthaume et pour revenir bientôt, ainsi que le chantaient alors les aspirans, « poussée par un vent d’ouest, de Berthaume à Brest. » Quelques-uns de nos vaisseaux se trouvèrent engagés avec la tête d’une des colonnes de l’escadre anglaise : il n’y eut là qu’une simple escarmouche, une escarmouche sans conséquences sérieuses, sans tués ni blessés de part ou d’autre. À quoi bon être embarqué sur un navire doué de toutes les qualités d’un merveilleux corsaire, pour passer son temps à évoluer autour de la roche Mingan ? Charles Baudin ne tarda pas à échanger sa corvette pour un vaisseau. Un ordre de l’amiral Willaumez le transborda de la corvette la Diligente sur le vaisseau l’Ulysse, commandé par le capitaine Allemand. L’Ulysse était un curieux échantillon de cette flotte qui, pour se grossir numériquement, ne craignait pas de faire flèche de tout bois. Vieille carcasse de construction espagnole, ce vaisseau ne comptait pas moins de cinquante-quatre années de service. Bâti en bois de cèdre, bois justement considéré par les ingénieurs de la Péninsule comme impérissable, il n’eût pas cependant, par suite de l’affaiblissement de ses liaisons, tenu la mer pendant quinze jours. Il faisait bonne figure sur les états qu’on mettait sous les yeux de l’empereur ; il n’aurait pu servir qu’à compromettre l’escadre à laquelle on l’eût attaché.

« Rester sur ce vaisseau, nous dit l’amiral Baudin avec un accent d’humeur qui se rencontre bien rarement dans ses mémoires, c’était se condamner à ne jamais aller à la mer. J’écrivis à M. Forestier qui dirigeait alors à Paris le personnel de la marine : je lui demandais de me faire employer activement et, s’il était possible, dans un service lointain. Courrier par courrier, l’ordre vint de m’expédier à Saint-Malo, où je serais embarqué sur la frégate la Piémontaise. Le commandant de la Piémontaise, le capitaine Épron, m’accueillit à merveille et me désigna tout d’abord pour son officier de manœuvre. Nous quittâmes Saint-Malo dans le courant de décembre 1805 : je me revis enfin en pleine mer. La Piémontaise était construite sur les plans d’un ingénieur nommé M. Pestel, ingénieur assez mal vu dans son corps, parce qu’il sortait de la classe des constructeurs du commerce : M. Pestel n’en avait pas moins fait descendre des