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écrit l’amiral Baudin, je fis mettre mon équipage à plat-pont. Seuls, les chefs de pièce restèrent debout, avec ordre de se coucher aussi, dès qu’ils auraient tiré. Au moment où le Boyne ouvrit son feu sur nous, je m’avançai au pied du grand mât et je dis à l’équipage, au milieu d’un profond silence : « Mes amis, je vous fais mettre à plat-pont pour un vaisseau de cent canons. Vous ne vous y mettriez pas pour une frégate, n’est-ce pas ? — Non ! non ! commandant, » s’écria-t-on de toutes parts. Beaucoup voulaient se relever : les officiers eurent quelque peine à les contenir. Le Boyne approchait rapidement : il fit une embardée et nous envoya sa volée tout entière, à portée de fusil. La volée passa, en sifflant, dans le gréement : pas un homme ne fut tué ou blessé. L’Adrienne ne s’en tira pas si heureusement ; le Boyne, en se repliant, la salua d’une décharge entière : huit hommes restèrent sur le carreau. »

La division française serrait de si près la terre que les Anglais ne l’attaquaient pas avec la vigueur qu’ils auraient montrée sans doute s’ils n’eussent été retenus par la crainte de s’échouer. Le Romulus, cependant, assez mauvais marcheur, demeurait peu à peu en arrière. Il existait déjà un grand intervalle entre ce vaisseau et le Trident. Le Boyne ne pouvait plus rien contre le Trident, rien contre les frégates ; il entreprit d’arrêter le Romulus. Trois ou quatre autres vaisseaux anglais joignirent leur feu à celui du Boyne. Le capitaine Rolland fut blessé d’une mitraille à la tête : on l’emporta sans connaissance dans le faux-pont. Les officiers, par bonheur, tinrent ferme : l’un d’eux, le lieutenant de vaisseau Genebrias, prit le gouvernail. On donnait, en ce moment, dans la rade ; le Romulus rasa le cap Brun de si près que son bout-dehors de bonnette faillit, assure-t-on, s’y accrocher. C’est du moins la tradition que se sont transmise de bouche en bouche les vieux marins dont le doux soleil de Provence réchauffe, sur le chemin de ronde du fort Lamalgue, les membres aujourd’hui engourdis.

Si brave et si entreprenant que fût un capitaine anglais, — je le répète pour la centième fois, — il ne se souciait jamais d’affronter le feu des batteries de côte. Le commandant du Boyne tint le vent, dès qu’il s’aperçut qu’avec la brise régnante il doublerait tout juste le cap Sepet. Le fort du cap Brun et le fort de Sainte-Marguerite auraient dû cependant lui apprendre, par leur majestueux silence, que les batteries françaises, loin de mordre, n’aboyaient même pas. Le combat avait lieu un dimanche : les canonnières étaient allés se promener. L’amiral Émériau expédia, pour servir les pièces délaissées, des officiers, des matelots, des gargousses. Le secours arriva trop tard. « Lord Exmouth, — je transcris ici l’appréciation de l’amiral Baudin, sans dissimuler que je la trouve