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mots : « Est-il un père qui ne frémisse d’abandonner son fils, non aux hasards de la guerre, mais au milieu d’une foule de brigands inconnus, mille fois plus dangereux ? »

L’assemblée bondit sous cet inqualifiable outrage et y répondit par des manifestations d’une extrême vivacité. Eût-il en de sérieuses chances de succès, après un tel éclat, le projet de Dubois-Crancé ne pouvait qu’être écarté. Tout n’était pas, au surplus, également bon dans ce projet et, s’il est permis de supposer que son succès eût été de grande conséquence, il convient aussi d’en blâmer plus d’une disposition. En ce qui touche l’avancement surtout, les idées de Dubois-Crancé étaient singulièrement subversives, et c’est à leur adoption, lors de la création des bataillons de volontaires, que sont imputables en partie l’indiscipline et les désordres du plus grand nombre de ces corps. Considérant « qu’il est juste que, dans tout état, les subalternes choisissent leur supérieur, » il proposait que les différens grades fussent donnés au scrutin. Quant à l’objection tirée de « l’esprit de cabale, d’intrigue et d’insubordination que cette méthode pourrait mettre dans la troupe, » il ne s’en embarrassait guère. « Un ministre n’est-il pas plus facile à tromper ou à séduire qu’un régiment entier ? » En d’autres termes, tous les droits aux inférieurs, toutes les précautions contre les chefs. C’est déjà la doctrine et l’état d’esprit jacobin : on dirait du Robespierre ou du Bouchotte.

Dans cette première phase de sa carrière parlementaire, soit que ses idées ne fussent pas bien assises, soit que la pratique n’en eût pas encore redressé les côtés chimériques ou dangereux, l’action de Dubois-Crancé n’avait pas, on le voit, toujours été ni très efficace ni très heureuse. Tout au rebours à la Convention : là sa pensée se précise et s’élève et son jugement s’assure. Aux illusions qui le troublaient, aux rancunes et aux préventions qui l’égaraient naguère, succède une vue très nette des dangers de l’heure présente et des remèdes qu’ils comporteraient. Ce n’est plus maintenant qu’il ferait à l’ancienne organisation de l’armée son procès et qu’il exalterait l’esprit national aux dépens de l’esprit militaire. C’est bien plutôt à sauver ce qui reste de cette organisation et de cet esprit qu’il juge que consiste le patriotisme et qu’il va désormais s’appliquer. Car, malgré les étonnans succès de la campagne de 1792, Dubois n’a pas d’illusion ; écoutez plutôt : « L’armée est complètement désorganisée, aucune de ses parties n’est liée, ni ne peut se porter de secours mutuels ; à peine les individus se connaissent-ils. — Tel régiment a son premier bataillon à l’armée de Miranda, son second à l’armée de Custine, ses grenadiers avec Dumouriez, son dépôt à Metz ou à Strasbourg. L’infanterie est toute morcelée, incomplète, divisée en fractions dont les généraux ne peuvent tirer