le secret du ministre prussien et du chancelier russe. Persévérant jusqu'à l'obstination, il aurait voulu avoir le mot de l'énigme que notre ambassadeur à Pétersbourg n'était pas parvenu à résoudre. « Je n'ai pas besoin de vous dire, avait-il écrit au baron de Talleyrand, combien l'empereur désirerait approfondir les mobiles de l'entente du roi de Prusse et de l'empereur de Russie, sur leur voyage simultané à Paris. Il serait curieux de deviner qui en a pris l'initiative, qui des deux compte en profiter le plus et ce qu'ils peuvent méditer de nous proposer ou de nous demander. Je m'en remets à votre tact pour y réussir, sans sortir de la prudence nécessaire. »
M. de Moustier s'apercevait avec tristesse que ses suppositions premières au sujet du voyage combiné des deux souverains n'étaient pas fondées, qu'en venant simultanément à Paris ils ne s'inspiraient pas de la pensée qu'il leur prêtait, qu'ils n'avaient rien de sérieux à nous demander ni à nous offrir et qu'ils ne songeaient pas à nous faire entrer dans de vastes combinaisons qui nous eussent permis de nous relever de nos échecs. M. de Bismarck ne tarissait pas sur sa sincérité passée et sur sa loyauté présente, mais il ne manifestait aucune envie de nous garantir, par l'échange d'une note, sa correction future. Il n'était pas venu cette fois, comme en 1865 à Biarritz, pour nous tenter et nous promettre tout ce qui ne lui appartenait pas. Sa réserve donnait à réfléchir. Qui pouvait dire s'il ne cherchait pas à nous endormir pour nous préparer plus sûrement un cruel réveil?
Quant au prince Gortchakof, il se préoccupait médiocrement de la transformation de l'Allemagne. Il en parlait avec un remarquable dégagement d'esprit. Il faisait l'éloge du comte de Bismarck, il exaltait sa rondeur, sa loyauté, il se targuait de l’affection et de l'estime qu'ils avaient l'un pour l'autre. La Russie, elle aussi, rompait, à notre exempte, avec les traditions de son histoire ; elle faisait bon marché de l'action prépondérante qu'elle exerçait jadis sur la Confédération germanique par l'influence que ses alliances de famille lui assuraient dans les cours allemandes et que l'empereur Nicolas et le comte de Nesselrode recherchaient avec tant de sollicitude. Elle ne tirait aucun enseignement de nos mécomptes; elle se laissait prendre, comme Napoléon III, aux « paroles veloutées » qu'on lui prodiguait à Berlin; comme la France, elle escomptait la reconnaissance fallacieuse des nationalités affranchies. Le prince Gortchakof ne pressentait pas alors les désenchantemens que lui réservait le congrès de Berlin. S’il avait pu évoquer l'avenir et voir à travers un prisme magique le chancelier allemand devant le tapis vert en présence des plénipotentiaires des grandes puissances, haussant dédaigneusement les épaules dès qu'il présentait une observation,