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son activité. On assure que Bellecour, la porte du Temple, la rue Mercière, la rue Turpin et autres sont incendiées ; on peut évaluer la perte à 200 millions. Il en coûtera à la république une de ses plus importantes cités et d’immenses accaparemens de marchandises. » Un peu plus tard, le 25, aux Jacobins, car il faut bien que les frères et amis reçoivent aussi leur rapport : « Frères et amis, la nuit du 22 au 23, une grêle de bombes et de boulets rouges ont assailli la ville de Lyon. Plus de cent maisons ont été incendiées, beaucoup de personnes ont péri ; on évalue le nombre à deux mille… La perte des muscadins est immense quant à leurs richesses ; elle excède déjà 200 millions. »

Et ainsi de suite : pendant plus d’un mois, la correspondance de Dubois-Crancé se soutient à ce diapason. Aussi, quand plus tard on lui reprochera sa mollesse, il pourra répondre avec orgueil et satisfaction : « On se permet légèrement de dire qu’il n’y a point eu de dégât. Certes 34,000 boulets rouges et 12,000 bombes ont cependant dû en faire. Nous n’avons vu que le quai du Rhône, et il n’y a pas une maison qui n’y soit ou détruite ou criblée depuis le pont de la Guillotière jusqu’au pont Morand. Nous avons aperçu derrière l’hôpital des quartiers entiers incendiés ; de toute l’Ile de l’Arsenal il n’existe presque plus rien, et une foule de maisons qui dans les rues ne paraissaient pas endommagées ont dans l’intérieur trois étages enfoncés par les bombes. »

Cependant, — et c’est ici qu’à notre humble avis Dubois-Crancé manqua de coup d’œil, — ces tristes exploits, il l’avoue lui-même, n’avançaient pas les choses. Vainement « le tir de l’artillerie ne discontinuait pas ; dès que l’incendie se manifestait quelque part, il était éteint de suite. » (Lettre du 17 septembre au comité de salut public.) Du haut des toits, jour et nuit, des femmes, sentinelles intrépides, veillaient au feu, et par les cris convenus qu’elles poussaient, dirigeaient les secours. Quant aux combattans, comme en Vendée, la barbarie des moyens employés pour les réduire, au lieu de les abattre, n’avait fait qu’exaspérer leur courage. « La Convention, disait leur chef, a soif de sang ; elle veut une expiation et une leçon. Lyon est condamné, je le sais ; il succombera. S’il ne s’agissait que de ma tête, je la donnerais ; mais combien de braves gens sont comme moi notés pour la hache du bourreau ! Mieux vaut la balle du soldat. Nous irons jusqu’au bout[1]. »

A de pareils adversaires qu’importaient les bombes et l’incendie ? Quand des hommes ont résolu de vendre chèrement leur vie et qu’ils sont placés, comme l’étaient ceux-ci, entre la victoire ou

  1. Réponse de Précy aux propositions de paix de Dubois-Crancé. Voir Barante, Histoire de la Convention.