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Déserteur ; ici l’on ne saurait plus rire. Richard est une œuvre de sympathie respectueuse, presque de pitié ; un dernier acte de foi, sinon d’espérance. L’histoire sans doute a laissé sur cette musique un reflet douloureux, et les destinées accomplies ont ajouté à sa poétique tristesse. Les contemporains ne pouvaient l’entendre ainsi. Louis XVI avait confiance, quand ses gardes du corps, buvant à lui dans leur banquet, chantaient avec enthousiasme : O Richard, ô mon roi ! Il ne savait pas qu’il languirait lui aussi dans une tour obscure, et que nulle voix fidèle ne viendrait alors redire sous ses fenêtres la romance bien-aimée. On n’a pas forcé le Temple comme la forteresse autrichienne et personne n’a aimé le roi de France


Comme le vieux Blondel aimait son pauvre roi !


Richard Cœur de lion offre ainsi, au point de vue historique, un caractère particulier. Il fut proscrit pendant la révolution. Un soir, pendant la captivité de Louis XVI, Garat s’avisa de chanter, au foyer de l’Opéra, la fameuse romance. Il faillit s’en repentir, et ne dut son salut qu’à l’intervention d’un habitué du théâtre, Danton.

Repris par ordre de l’empereur, Richard fut surtout acclamé sous la restauration. Blondel alors chantait volontiers :


Louis dix-huit, ô mon roi !
L’univers te couronne ;
Tu triomphes par la loi
Et nous adorons ta personne.


Richard pourrait se passer de cet intérêt rétrospectif. L’œuvre se suffit à elle-même. Nous disions qu’elle domine l’art français au XVIIIe siècle. Quel peintre, quel musicien d’alors s’est élevé à de pareilles hauteurs ? La beauté de Richard, quoique souvent gracieuse, est surtout austère et pure, presque on contradiction avec l’esthétique du temps. A peine y est-il question d’amour. On entrevoit seulement la comtesse Marguerite ; elle gagne même à ne nous apparaître que dans les souvenirs du roi captif. L’intrigue du gouverneur et de Laurette n’est que le prétexte d’un air exquis : Je crains de lui parler la nuit, plein de mystère et de grâce timide. Ce qui domine tout l’opéra, c’est la fameuse romance, et nous voudrions un mot plus noble pour la nommer. L’art lyrique n’a pas attendu Wagner pour faire planer sur tout un drame une mélodie obstinée, un motif conducteur. Une fièvre brûlante est le premier et restera, croyons-nous, un des plus puissans de ces Leitmotive qui font maintenant tant de bruit. Il n’en fait pas, lui, ce chant de génie, mais comme il est Adèle ! Comme il est tour à tour plaintif