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On trouve plus de bonhomie et de rondeur dans une autre Cendrillon, Italienne, celle-là, dans la Cenerentola de Rossini. C’est la bouffonnerie, presque la farce, mais la farce puissante. Il fallait, disent nos pères, entendre la voix de Lablache rouler comme un tonnerre à travers les vocalises de don Magnifico. Quelle jovialité dans cette musique ! Quelle verve et quelle exubérance ! Rossini parfois rappelle Rabelais. Comme il en prend à son aise avec l’aimable féerie ! Comme il se met au large ! Au lieu de raffiner dans le joli, comme il amplifie dans le comique ! Il étourdirait d’un éclat de rire les petits personnages de Nicolo.

Quatre ans après Cendrillon parut Joconde, qui vaut beaucoup mieux. Ici, l’esprit domine. Si les Rendez-vous bourgeois sont plus gais, plus franchement comiques, Joconde est plus relevé : les idées et la facture, tout y est élégant et spirituel, sans trivialité comme sans fadeur. Le livret d’Etienne est assez joliment imité du conte de La Fontaine. Ce n’est plus un conte de fées, celui-là ; tout s’y fait le plus naturellement du monde ; on sait comment. Il a fallu gazer un peu, cela s’entend, surtout dans le second acte. Le fameux quatuor est conservé, mais le lieu de la scène agrandi et l’action atténuée : au lieu d’une chambre d’auberge (et même moins qu’une chambre), le théâtre représente un bosquet, à peu près les marronniers des Noces de Figaro. Nicolo sans doute a traité la situation avec moins d’ampleur que Mozart ; les lignes sont moins belles, l’ordonnance est moins harmonieuse, mais toutes proportions gardées comme elles doivent l’être, les deux scènes peuvent se comparer. Il y a même plus de vivacité chez Nicolo. Ce quatuor est à la fois musical et scénique. La première phrase est charmante. A peine est-elle tombée des lèvres d’un des personnages, qu’un autre la reprend, et chez tous elle a même grâce et même légèreté. Le dialogue musical est rapide ; les reprises et les rentrées se font à point, la mélodie circule sans s’égarer à travers tout le morceau. L’orchestre accompagne finement avec un bourdonnement moqueur qui ne cesse pas. Il jase lui aussi, il rit avec les deux petits amoureux qui s’embrassent. Aux inflexions câlines de Jeannette, à la façon dont elle traite son Lucas, on voit que Nicolo se souvenait de La Fontaine.

Ce quatuor est la meilleure page de Joconde ; mais il faudrait en citer bien d’autres : par exemple l’air du premier acte : J’ai longtemps parcouru le monde, plein de désinvolture et de fatuité, un peu parent de l’air de Leporello : Madamina, che catalogo è questo ! Citons encore le duo galant et moqueur de Robert et d’Edile : Ah ! monseigneur, je suis tremblante. Dans Joconde, personne ne prend rien au sérieux. Ni les amans, ni les maîtresses ne sont dupes les