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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/689

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talent de la composition. Ce n’est pas un de ces trouveurs qui s’engouent de leurs découvertes jusqu’à sacrifier l’intérêt et les vieilles vérités aux nouveautés douteuses, à la superstition de l’inédit. Il sait élaguer et choisir ; il se défie des fatras de bagatelles, des détails oiseux, de ce que Voltaire appelait la vermine qui ronge les grands ouvrages. Le sien se recommande à notre attention, et nous ne doutons pas qu’avant peu on ne le traduise en français.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Allemagne s’est occupée de l’homme étonnant qui nous a laissé dans ses Mémoires de vrais chefs-d’œuvre dans le genre de l’éloquence endiablée et qui a enrichi notre théâtre de deux admirables comédies d’un genre tout nouveau, créé par lui, et dont il a emporté le secret. Goethe s’est senti jusqu’à la fin une sympathie indulgente et olympienne pour celui qu’il appelait « l’aventurier français. » Il ne renia jamais la dette qu’il avait contractée envers lui ; il lui devait le sujet d’un de ses meilleurs drames bourgeois. Il y avait représenté Beaumarchais tel que Beaumarchais s’était peint lui-même, et il s’était donné le plaisir de transformer Clavijo à sa propre ressemblance, de lui prêter les traits et les sentimens d’un jeune poète francfortois, d’un certain Jean-Wolfgang Goethe, lequel avait manqué de parole à la fille d’un pasteur alsacien et se mettait en règle avec sa conscience en babillant ses remords de vers exquis ou d’une prose souple et limpide. Douze ans plus tard, un illustre compositeur allemand se chargeait d’extraire du Mariage de Figaro tout ce qu’on y peut trouver de poésie intime et romantique ; il remplaçait les épigrammes et les équivoques graveleuses par les enchantemens d’une musique qui fond le cœur ; il ajoutait des clochettes d’or aux grelots toujours tintans de la marotte de Figaro. On sait que Beaumarchais n’a jamais goûté Mozart ni son opéra, que son traducteur lui faisait l’effet d’un traître. Nous savons par M. Bettelheim qu’il a en l’occasion d’entendre le Clavijo de Goethe et qu’il en fit peu de cas : « Passant à Augsbourg, en Souane, écrivait-il à Marsollier, je me suis vu jouer une seconde fois, moi vivant, mais joué sous mon nom, ce qui n’était, je crois, arrivé à nul autre. Mais l’Allemand avait gâté l’anecdote de mon mémoire en la surchargeant d’un combat et d’un enterrement, additions qui montraient plus de vide de tête que de talent. »

Si Beaumarchais prétendait n’avoir eu à se louer ni de Mozart ni de Goethe, que doit penser son ombre du volume que lui a consacré son biographe viennois ? M. Bettelheim admire autant que personne le génie et la verve de Beaumarchais pamphlétaire ou dramaturge ; mais personne n’a déshabillé avec tant de cruauté l’homme qui fut tour à tour l’idole et « l’horreur de tout Paris. » M. Taine reprochait à M. de Loménie, il y a quelques années, « d’avoir laissé un peu dans l’ombre le faiseur et le charlatan, le gamin et le polisson. » Sainte-Beuve, qui