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les souscripteurs… Qui ne savait pas tout cela pouvait aisément le savoir : il n'avait qu'à ouvrir le tome II des Lettres, Instructions et Mémoires de Colbert. Mais voici le beau de la découverte : c'est qu'aussitôt la compagnie formée, Louis XIV prétendit en gouverner lui seul toute la conduite, et prépara d'abord avec les fonds des actionnaires une expédition pour Madagascar. M. Pauliat s'en indigne, il n'aurait jamais cru que Louis XIV fût capable d'un tel forfait, et à ce propos il entre dans « une série d'étonnemens et de surprises, » où nous avons le plus vif regret de ne pouvoir le suivre.

Car autant qu'il s'est mépris sur le caractère de Louis XIV, autant il se méprend ici sur le caractère de la royauté du XVIIe siècle, et peut-être davantage encore sur le caractère de l'opération dont il s'est constitué l'historien. En établissant la compagnie des Indes orientales, comme depuis tant d'autres compagnies du même genre, Louis XIV, en effet, ne « montait point une affaire, » mais essayait uniquement d'étendre et de développer le commerce français. En appelant à lui les souscripteurs, et d'une manière fort impérative, il ne se proposait point de les enrichir, mais d'intéresser leur bourse au succès d'une entreprise de politique générale. Et en prenant enfin la conduite de cette entreprise, il ne faisait rien qu'étendre à la compagnie des Indes cette autorité qu'il exerçait, qu'il prétendait exercer sur sa cour et son royaume. La notion de l'état a changé depuis lors, mais telle était celle de Louis XIV, et M. Pauliat n'a pas l'air de s'en douter. Il oublie constamment, au cours de son récit, que Louis XIV est un maître et un maître qui veut être absolu. Mais il en résulte qu'il s'indigne à tort. Car la formation de la compagnie même, car cet appel aux souscripteurs, car ces réunions d'actionnaires, dans ce siècle où le crédit commence à peine d'essayer ses forces, bien loin d'être, comme il croit, des abus de pouvoir, sont au contraire autant de tentatives pour faire l'éducation d'un public encore neuf à ces sortes d'affaires. M. Pauliat a pris son sujet à contre-pied, et, pour parler comme lui, s'il ne change pas de pied, il n'est pas près encore de prendre « un pied sérieux » dans l'histoire du XVIIe siècle.

On peut dire du livre de M. Forneron : Louise de Kéroualle, duchesse de Portsmouth, qu'il fait exactement suite à celui de M. de Baillon sur Henriette-Anne d'Angleterre. Décousu, comme le sont tous les livres de M. Forneron, et court d'haleine, mal écrit, avec de grandes prétentions au style, curieux et intéressant malgré tout, il sera sans doute beaucoup lu, et nous n'en voulons détourner personne. Les « histoires de femmes, » — ne l'avons-nous pas déjà dit ? — vont bien à M. Forneron ; il a une manière de les détailler qui montre qu'il s'y plaît, et qui fait qu'on s'y plaît avec lui. Celle-ci, d'ailleurs, a vraiment son importance historique ; la petite Bretonne qui mourut