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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/711

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ses petites causes, n’en perd-on pas de vue le véritable objet ? Des livres comme celui de M. Forneron, des extraits comme ceux qu’il y donne, des phrases comme celle que nous en venons de citer feraient croire en vérité que la persévérance d’un Louis XIV, l’application et l’audace d’un Louvois, le génie d’un Condé, d’un Turenne, d’un Vauban ne sont de presque rien dans les destinées des empires, mais que tout y dépend de savoir qui des deux tient à Londres le haut du pavé : Louise de Kéroualle ou Nell Gwynn, la petite Bretonne de M. Forneron ou la crieuse d’oranges, — à moins que ce ne soit cette autre bonne pièce, Hortense Mancini, duchesse Mazarin.

En réalité, dans toute cette affaire, c’est encore Macaulay qui a le mieux vu, et ce que j’apprécie le plus dans le livre de M. Forneron, c’est ce qu’il contient de preuves nouvelles à l’appui du jugement de Macaulay. L’intérêt de Louis XIV, ou son dessein, n’était pas tant d’avoir des troupes anglaises à sa solde et de faire apprendre, sous Turenne, la guerre au futur Marlborough, mais plutôt d’entretenir la division de l’Angleterre contre elle-même, et ainsi d’annuler, dans le jeu de la politique européenne, l’influence d’une puissance rivale. Pour cela, en même temps qu’il pensionnait royalement Charles II, qu’il faisait des présens ou qu’il donnait des titres à Louise de Kéroualle, il achetait, mais un peu moins cher, les membres des communes, et notamment ceux de l’opposition, ou, comme on les appelait, du parti du pays. En ce temps-là, la conscience de l’illustre Algernon Sidney semble avoir valu quelque chose comme 500 guinées. Dans le vaste champ de l’intrigue, selon le mot de Figaro, il faut savoir tout cultiver : l’amour-propre d’une favorite et la haine d’un républicain pour les rois. C’est assez dire, je pense, que dans cette partie dont la domination de l’Europe était l’enjeu, le rôle de Louise de Kéroualle, plus considérable, à la vérité, que celui de Louise de La Vallière ou de Mme de Montespan, ne fut, après tout, que celui d’une maîtresse royale, et maîtresse du prince assurément le moins absolu, le moins maître de ses sujets et le moins libre de ses sympathies qu’il y eût dans l’Europe du XVIIe siècle. Il ne faut pas grossir les choses : ou a l’air de chercher soi-même des excuses de s’en être occupé.

Avec des alternatives, et mêlée, comme celle de toutes ses pareilles, de plus d’une humiliation, la faveur de la duchesse de Portsmouth se maintint pendant toute la durée du règne de Charles II, c’est-à-dire jusqu’en 1685. Elle paraît avoir aimé le roi, qui lui-même aimait en elle une douceur où ses autres maîtresses ne l’avaient pas habitué. A la mort de Charles II, bien traitée par le nouveau roi, mais sachant la haine qu’on lui portait en Angleterre, comme Française, bien plus encore que comme instrument de la politique de Louis XIV, craignant d’être attaquée dans le parlement, elle prit le parti de se retirer en