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frégate de l’empire le commandant probable de nos flottes en cas de guerre européenne. Bien que la santé ne donne pas toujours l’énergie et que j’aie rencontré dans des corps chétifs une volonté de fer, je me réjouirai cependant quand je verrai à la tête de nos armées des hommes en possession de toute leur vigueur physique : le vainqueur de Saint-Jean-d’Ulloa n’aurait craint, en 1840, ni les fatigues, ni les veilles. Les circonstances manquèrent à sa fortune ; la paix, près de se rompre, se raffermit soudain devant la menace d’une coalition formidable. Nous vîmes se dresser à la fois contre nous la Russie, l’Autriche, la Prusse, la Turquie, l’Angleterre. Il fallut bien s’incliner : la dictature morale n’appartenait plus, comme au temps du premier empire, à la France. Le vice-amiral Baudin, revenu du Mexique, alla dépenser son activité dans les obscurs soucis d’une préfecture maritime.

En 1848, le 25 février, après une révolution qui semblait faite contre l’Angleterre plus encore que contre la monarchie, ce vainqueur, reposé par dix ans de bureau, prenait le commandement des forces navales de la Méditerranée, l’exerçait dignement, utilement, sauvait par l’énergique fierté de son attitude la discipline gravement menacée, sans trouver cependant, du 25 février 1848 au 14 juillet 1849, jour où son pavillon cessa de flotter à bord de l’Océan, l’occasion de laisser une nouvelle page à l’histoire. La gloire pour les hommes de guerre s’acquiert en une heure ; des siècles de services n’y suffiraient pas.

Le 27 mai 1854, l’empereur Napoléon III, juste appréciateur de cette vie toute d’honneur et de dévoûment, faisait déposer sur le lit de douleur de l’héroïque officier le bâton d’amiral. Charles Baudin est mort, le 7 juin 1854, investi de la dignité à laquelle les plus grandes renommées aspirent ; il est resté pour moi le héros de Saint-Jean-d’Ulloa et surtout le capitaine du Renard : c’est à ce titre que je l’offre en modèle à nos jeunes officiers. Bénis d’avance soient ceux qui sauront lui ressembler !


JURIEN DE LA GRAVIÈRE.