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la Mission. Les jeunes indigènes (surtout les femmes), chantaient avec des voix mélodieuses. Quelle différence, au point de vue musical, toute à l’avantage de ces insulaires, avec les chrétientés de la Chine et les couvens des Koptes catholiques de l’Égypte !

Dans l’après-midi, l’évêque, ses pères et ses hôtes, les membres de la communauté et quelques notabilités catholiques, le grand juge du roi en tête, se réunirent sur la pelouse, moitié cour, moitié jardin, qui sépare l’église du presbytère. La fille du juge eut l’honneur de préparer le kava.

Le kava est un breuvage que l’on prépare avec une racine qui est nettoyée, raclée et mâchée par des jeunes filles, ensuite lavée de nouveau et versée dans une grande cuvette de bois. Le résultat final de cette série d’opérations peu appétissantes est une boisson qui a le goût de la rhubarbe. Les résidens blancs l’apprécient autant que les indigènes. Dans toutes les réunions d’amis, dans les réjouissances publiques et réceptions de personnages, on sert le kava. Ce sont des jeunes filles de qualité, d’une conduite régulière, qui le préparent en présence de l’assemblée. Dans ces réunions, les hôtes sont assis en cercle. Les deux ou trois jeunes filles se tiennent au centre, devant la cuvette destinée à recevoir le produit de la mastication. À en juger par les grimaces involontaires des jeunes Hébés aux joues enflées, c’est un rude travail qui exige de puissantes mâchoires. Dès que le breuvage est prêt, le maître de la maison bat des mains. Ce signal est répété par toute la compagnie. Les conversations cessent, et, au milieu d’un profond silence, le chef prononce le nom de l’hôte qui occupe la place d’honneur. Une jeune fille s’avance vers lui gravement, s’incline avec grâce et lui sert le liquide dans une moitié de noix de coco. Vidée ou touchée seulement des lèvres, la tasse est remplie de nouveau et présentée par la même jeune fille aux autres invités toujours par ordre de préséance.

Les missionnaires me disent que, dans leurs voyages, ils acceptent volontiers d’assister à ces réunions, qui disposent favorablement les esprits et préparent le terrain aux discussions sérieuses.

Après le kava, de jeunes catéchumènes vêtus de leur pagne d’écorce avec des fleurs dans les cheveux et une épée de bois à la main, exécutèrent avec beaucoup d’entrain plusieurs danses de guerre. Les femmes n’y prenaient aucune part : « Elles ne fréquentent pas les bals, » me dit un des missionnaires d’un air significatif dont je ne compris le sens qu’après avoir assisté à un sava.

Cependant, la brise du soir commençait à apporter un peu de fraîcheur. C’était bien une des journées les plus étouffantes dont j’aie mémoire. Dans ce groupe, quand l’atmosphère est tranquille,