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reproduire, dans leur texte officiel, l’interrogatoire de l’accusé, les dépositions des témoins, la sentence du juge. C’étaient pour eux des documens d’un grand prix et qu’ils devaient tenir à conserver. Il leur était facile d’y joindre un récit de la mort du martyr, d’après le témoignage de ceux qui le suivaient jusqu’au lieu du supplice, pour s’édifier de ses paroles, tant qu’il vivait, et recueillir son sang après sa mort. Nous possédons un certain nombre d’Actes qui ont été composés de cette manière ; mais comment se fait-il que nous n’en ayons pas davantage ? La raison qu’on en donne d’ordinaire, c’est qu’ils furent détruits par l’ordre de Dioclétien. L’empereur avait remarqué sans doute que ces récits héroïques enflammaient l’âme des chrétiens et leur donnaient l’exemple de souffrir ; aussi les fit-il placer parmi les livres de la doctrine proscrite qu’il ordonna de saisir et de brûler sur la place publique. Le poète Prudence déplore, en beaux vers, une rigueur qui a privé l’église de ses plus glorieux souvenirs et rendu pour elle toute cette antiquité muette :


O vetustatis silentis obsoleta oblivio !
Invidentur ista nobis, fama et ipsa extinguitur.


Comme alors la persécution dura dix ans et qu’elle fut très habilement conduite, il est probable que la plus grande partie des écrits de ce genre fut découverte par les agens de l’empereur, sans compter ceux qui furent supprimés par les chrétiens timides qui craignaient de se compromettre en les gardant. Je persiste pourtant à croire qu’on en aurait sauvé davantage s’ils avaient été plus nombreux et plus répandus. Faut-il croire ou que, dans le feu des persécutions, malgré les recommandations des évêques, on a négligé quelquefois de les rédiger, ou qu’après l’orage on les a souvent laissé perdre ? Cette dernière hypothèse me paraît surtout vraisemblable. Quand on vient de traverser ces crises terribles, il est naturel qu’on s’abandonne tout entier à la joie de vivre, et l’on est si charmé du présent qu’on oublie de songer au passé. Quoi qu’il en soit, on ne peut douter qu’au IVe siècle, après la paix de l’église, la mémoire de beaucoup de martyrs ne se fût fort effacée ; les documens abondent pour le prouver. De plusieurs d’entre eux on ignorait l’endroit où ils étaient ensevelis ; pour d’autres, leur nom gravé sur leur tombe était tout ce qu’on en pouvait dire : quelques-uns à peine, plus importans ou plus heureux, n’avaient pas cessé d’être honorés des fidèles. C’est seulement après cette époque que la plupart des Actes, tels que nous les avons aujourd’hui, furent composés, soit qu’ils aient été imaginés de toute pièce, soit qu’on les ait restitués d’après des documens plus anciens.