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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/843

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personnelle, ait rencontré dans la Grande-Bretagne des lecteurs par dizaines de mille ou même par centaines de mille, qu’il y ait à peine soulevé des objections dans la classe moyenne ; que M. Chamberlain et même M. Gladstone en soient arrivés, l’un à préconiser, l’autre à presque accepter des solutions artificielles et violentes comme l’expropriation de certaines terres par les communes pour la constitution de propriétés de paysans ou de sociétés coopératives de laboureurs ; qu’il se soit créé par l’initiative privée des associations philanthropiques, telles que la National Land Company, pour prôner et pratiquer le système coopératif appliqué à l’agriculture : ces violences d’une partie de l’opinion publique, ces plans divers, ces espérances souvent chimériques sont naturelles dans un pays qui n’a jamais connu le libre commerce de la terre. Nos voisins ne prennent, sans doute, pas le meilleur chemin pour arriver à une réforme pacifique et efficace. Ils n’auraient qu’à abolir les substitutions et à améliorer leur procédure, leur système judiciaire, à diminuer leurs frais de justice, la petite et la moyenne propriété naîtraient alors et se développeraient avec le temps. On ne doit pas se dissimuler, cependant, que le climat, plus favorable au pâturage qu’aux petites productions variées, le caractère britannique, qui est plus séduit par le mirage des gains commerciaux illimités que par les lentes et restreintes perspectives de l’exploitation du sol, les mœurs enfin et les antécédens de la race s’opposeront pendant, bien des séries d’années, sinon toujours, à ce que la petite et la moyenne propriété aient en Angleterre une part aussi prépondérante qu’en France, en Belgique ou sur les bords du Rhin.

Les landlords anglais sentent cependant déjà que le terrain se dérobera bientôt sous leurs pieds, et beaucoup d’entre eux depuis dix ans se constituent aux États-Unis des latifundia qui compenseront momentanément la perte de ceux qu’on pourra leur enlever en Europe. Toute l’aristocratie de la Grande-Bretagne s’est jetée, avec la fougue anglaise, bien autrement violente et soutenue que la furia francese, sur les terres vacantes du Far West américain et canadien. On cite entre autres un propriétaire anglais, sir E.-J. Reed, qui, à lui seul, s’est constitué un domaine colonial de 800,000 hectares aux États-Unis.

On sait que le gouvernement de l’Union américaine du Nord commence à s’alarmer de ces immenses acquisitions faites par des capitalistes étrangers et qu’il projette d’y mettre un terme. Ce n’est pas que l’on puisse espérer avant bien longtemps de constituer aux États-Unis la toute petite propriété telle qu’on la connaît sur le continent européen, c’est-à-dire ces lopins de champs dont le