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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/89

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mais, sur l’invitation du capitaine, s’empressèrent d’échanger cette pose incommode contre l’attitude habituelle dans ces îles. Le grand style est d’être assis sur les deux jambes en donnant à l’une d’elles un mouvement de vibration. On leur servit des rafraichissemens qu'elles semblèrent apprécier. La duchesse, qui sait deux ou trois mots d’anglais, était fort en train ; les rires et les chuchotemens se succédaient sans interruption lorsque, soudain, des exclamations, des cris confus mêlés au bruit du tam-tam, parvinrent à nos oreilles. C'étaient les gens de Fanga-Tongo, les amis de Maunga-Mauuma et les chefs secondaires de sa tribu, qui arrivaient. Eux aussi venaient rendre visite à l’Espiègle. La duchesse et ses dames pâlirent, mais c'était la pâleur de la colère plutôt que celle de la peur. Il était trop tard pour empêcher les visiteurs importuns de venir à bord, et voilà les deux factions hostiles en présence. Un des nouveaux arrivans, un jeune homme d’une vilaine physionomie, profita de la confusion pour soustraire la massue d’un guerrier de Pango-Pango. Pour la cacher, il s’assit sur l’objet volé. Mais la duchesse, de son regard d'aigle, s’en aperçut et dénonça le coupable au capitaine, qui lui fit évacuer le navire avec une promptitude merveilleuse. Un coup de pied appliqué au fuyard par un matelot le fit disparaître comme par une trappe.

Le pont était alors rempli d’hommes à moitié nus, fleurs et plumes dans les cheveux, massues et gourdins à la main ; du reste, parfaitement tranquilles. Les matelots firent la haie, et la sœur du grand chef Maunga-Lei, suivie de ses dames et de ses adhérens, put se retirer avec tous les honneurs dus à sa position sociale ; pendant ce temps-là, les hommes des deux factions échangeaient des regards courroucés et des paroles qui évidemment n’étaient pas des complimens. Quelques momens après, ceux de Fango-Tongo se retirèrent également. C'était un beau spectacle que ces deux grands canots d’état, chacun suivi d’une nuée de petites nacelles et se dirigeant lentement vers son village. La duchesse, entourée de ses dames, se tenait debout sur une sorte de dunette. Un grand nombre de guerriers dont les corps fortement huilés luisaient au soleil, remplissaient le bateau de la poupe à la proue. Sur le devant, un homme armé d’une immense massue, occupait une estrade élevée. Il poussait des hurlemens et exécutait des pas grotesques, semblant à chaque instant près de tomber à l’eau. Tous chantaient en chœur, avec des voix mâles et presque harmonieuses, une mélodie grave et mélancolique.

Les hommes de la faction adverse avaient aussi leur loustic sur le devant du grand canot d’honneur. Mais ils ne chantaient pas. L'incident qui s’était passé à bord, non pas le vol, mais la découverte