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d’épuration des provinces orientales ; il poussait hors de ses frontières des milliers de petits industriels, de commerçans, de cultivateurs, même des hommes qui avaient servi dans l’armée allemande, sous prétexte qu’ils n’étaient pas Prussiens, qu’ils étaient nés au-delà de la Vistule ou dans la Galicie autrichienne Aujourd’hui, l’idée fixe de M. de Bismarck, c’est le rachat en masse des terres par raison d’état. C’est son projet ! Il profitera des désordres de quelques nobles polonais qui se ruinent pour acheter leurs biens, et, quant aux autres, il les expropriera sans plus de façon pour cause d’utilité publique. Partout, dans ces contrées, il substituera le propriétaire allemand, le colon allemand, l’ouvrier allemand à tout ce qui est polonais. Le Polonais habitant la Pologne prussienne, pour lui, c’est l’ennemi à extirper, c’est l’allié-né de l’ennemi, quel qu’il soit, français, ou russe, dans des guerres nouvelles ! Il fera, ce terrible réformateur, ce qu’il voudra ou ce qu’il pourra. Seulement, ce système, qu’il prétend inaugurer aujourd’hui et dont il attend de si merveilleux effets, n’a rien de nouveau. Il a été déjà méthodiquement appliqué depuis 1815. Pendant longtemps, on a employé tous les moyens pour « germaniser » les provinces orientales, pour introduire les Allemands partout, dans la propriété, dans l’industrie locale, dans l’administration, dans l’enseignement. M. de Bismarck est lui-même obligé d’avouer que ces tentatives de germanisation n’ont pas réussi ; quelles raisons y a-t-il de croire qu’elles auraient aujourd’hui plus de chances de succès ?

M. de Bismarck cède visiblement à une orgueilleuse impatience de la force. Il croit pouvoir tout trancher, tout courber sous sa volonté, tout repétrir de sa main puissante, les frontières, les habitudes des populations, l’esprit de race, et pour satisfaire sa passion du moment contre les Polonais, il compromet peut-être d’autres intérêts qui sont aussi fort sérieux. D’abord c’est bien quelque chose d’avouer devant le monde, avec la brutalité hautaine déployée par le chancelier dans ses derniers discours, que le droit, les traités, les engagemens ou les promesses des souverains, du roi Frédéric-Guillaume III, ne comptent plus. Il n’est rien de tel que les victorieux pour parler avec ce mépris altier des engagemens des princes ! Mais, de plus, M. de Bismarck s’est laissé entraîner à prendre une singulière attitude vis-à-vis du Reichstag, qui s’est permis d’ouvrir une discussion sur les expulsions polonaises de Posen et de se montrer peu favorable à ces expulsions. Chose assez curieuse ! lui, le chancelier de l’empire, l’ennemi acharné du particularisme, il a porté le premier coup un peu sérieux au parlement de l’empire en lui déniant ses droits, en lui opposant les droits particuliers de la Prusse, seule souveraine des provinces orientales. Fort bien ! le particularisme prussien a ses droits, et le particularisme bavarois, le particularisme wurtembergeois, le particularisme saxon ont aussi leurs droits. On ne pourra plus désormais refuser aux autres