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pour la plupart m’ont été fournis par un de nos officiers les plus distingués de l’armée d’Afrique, M. le commandant Coyne, dont bien des voyageurs ont éprouvé l’inépuisable bienveillance et le savoir si étendu, par M. le commandant du génie L. Breton, officier supérieur qui faisait tant honneur à notre armée, et par l’infortuné consul général d’Allemagne à Tunis, l’explorateur Nachtigal, qui vient de mourir à la peine et que nous-mêmes, Français, avons pleuré.


I.

Les excès des premiers khalifes avaient provoqué dans l’islam des schismes au développement desquels les musulmans restés orthodoxes durent s’opposer de toutes leurs forces et par tous les moyens en leur pouvoir. Déjà, comme s’ils prévoyaient ces divisions, les disciples mêmes du Prophète s’étaient unis en formant une association mystique qui est la base des ordres religieux et qui est bien connue sous le nom de soufisme : la traduction la plus exacte de ce mot est l’ascétisme.

« Le soufisme, dit M. Rinn, n’est ni un système philosophique, ni une secte religieuse, c’est une manière de vivre dans un état de pureté parfaite ; il ne comporte ni dogme ni règle fixe, ni raisonnement, ni démonstration, il n’est ni musulman, ni chrétien, ni indien. » — « Il ne s’apprend pas de tel ou tel, mais de la faim et du renoncement. » c’est le mysticisme poussé jusqu’à l’anéantissement en Dieu : saint Antoine, saint Siméon Stylite sont des soufistes. Il y a, bien entendu, dans le soufisme tous les degrés, depuis la contemplation, l’extase, jusqu’à l’hystérie, comme il y a parmi ses adeptes des rêveurs, des paresseux, des saints, des malades, des fous.

Les croisades fortifièrent l’union des orthodoxes et les déterminèrent peut-être à organiser leur propagande. C’est, en effet, à la fin du XIe siècle que Sidi Abd-el-Kader el Djilani fonda son ordre. (470 de l’hégire, 1077-78 de J.-C). Sa doctrine n’eut toutefois aucun caractère militant.

Abd-el-Kader el Djilani ou Ghilani était un saint, un de ces hommes qui font croire en Dieu parce que chez eux la bonté, la miséricorde et la piété sont surhumaines. Il consacra ce qui n’était à ses yeux qu’un passage dans ce monde à consoler ses semblables et à donner. Plus de tristesse que de bonheur lui semblait être le partage de la vie terrestre ; l’espoir le conduisit à cette conclusion, qui est celle du pessimisme aujourd’hui : le bonheur est dans l’oubli de l’existence. Pour arriver à cet oubli en même temps que pour se préparer le chemin du ciel, il se fit le propagateur ardent du soufisme ;