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moins neutraliser celle du caïd officiel : parfois ce cheik n’était autre que le caïd lui-même, dont nous avions ignoré en l’investissant les redoutables attaches. Cette secte, très surveillée, ne compte d’ailleurs que peu d’adhérens, et toutes les ramifications des chadelya, heureusement, ne se sont pas écartées, comme elle, des règles pacifiques de cet ordre : celles que nous allons faire connaître ont pris toutefois un développement et une indépendance qui nous obligent à donner à chacune d’elles sa place à part.

L’ordre des taïbya, dont les doctrines sont restées chadeliennes, mais se sont accentuées dans un sens peu favorable au monde chrétien, passe pour avoir une organisation supérieure à celle de tous les autres ; comptant peu d’adhérens en Algérie, si ce n’est dans la province d’Oran, et encore moins en Tunisie, il doit son origine à des considérations politiques plus qu’à une conviction religieuse : il a été constitué au Maroc pour venir en aide au gouvernement du sultan.

Le chérif d’Ouazzan, Mouley Taïeb, qui fonda l’ordre dans la seconde partie du XVIIe siècle (1089 de l’hégire, 1678-79 de J.-C), descend de Mouley Idris ben Abdallah ben Haam, fils du calife Ali ben Abou Taleb et fondateur de la dynastie marocaine des Idricites. Il releva de sa popularité et de son prestige l’autorité fort compromise du sultan son parent ; grâce à son appui, celui-ci put gouverner des sujets jusqu’alors à demi rebelles. De son côté, le sultan exagérait à dessein le pouvoir spirituel du chérif; pour donner à la multitude une marque éclatante de sa déférence, il l’éleva à ses côtés, s’inclina devant lui, alla jusqu’à recevoir de ses mains l’investiture. Ces concessions étaient habiles : elles étaient nécessaires; aucun pouvoir n’eût pu se maintenir au Maroc si le despotisme de la foi n’avait pas abaissé devant le trône des hordes belliqueuses qui ne demandaient qu’à tenir le pays en état d’anarchie, et changé des barbares non-seulement en croyans, mais en sujets. Propager la discipline d’un seul et même ordre au Maroc, c’était modifier entièrement les mœurs de ses habitans, substituer au désordre l’esprit de soumission; c’était le moyen non-seulement d’obtenir la paix, mais de percevoir des impôts, de constituer l’état. Avec quelle perfection Mouley Taïeb sut grouper ses fidèles, en faire un corps qu’il pût pénétrer tout entier, sur lequel il maintînt l’action la plus directe, la surveillance la plus absolue ! A la tête de l’ordre, le chérif, le grand-maître, préside une assemblée générale où se réunissent autant de khalifas qu’il y a de groupes dans l’ordre : ces groupes sont de véritables circonscriptions délimitées comme des districts territoriaux. Dans l’assemblée générale se discutent les affaires de la congrégation ; le chérif donne ses instructions. Des mokaddems sont envoyés même à l’étranger : une zaouïa, fondée à Taroudant,