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la France et d’Allemagne, servaient tour à tour dans les armées françaises et les armées allemandes. Une jeunesse très agitée, marquée par un duel fâcheux où son rôle laissa fort à désirer, ne semblait pas le destiner à la vie publique ; mais l’ambition lui vint avec l’âge, sans lui faire perdre le goût des plaisirs. Ce Gil Blas princier, moins honnête que son modèle, devint un personnage politique. Actif, vaniteux, menteur, très habile à masquer des desseins malhonnêtes sous le jargon philosophique alors à la mode, il se croyait propre à tous les rôles et se tenait prêt à toutes les trahisons. Commandant pour les états de Hollande une légion levée en Allemagne; agent du stathouder, à Berlin en 1785, il devenait, en 1786, agent diplomatique des patriotes à Versailles. Il obtenait du roi de France un don de 400,000 livres avec le grade de maréchal de camp, et dirigeait en Hollande un nouveau parti composé de démagogues tout fiers d’avoir un prince à leur tête.

J’ai parlé du rhingrave comme agent stathoudérien auprès de la cour de Prusse. Guillaume V, effrayé des progrès constans des patriotes, troublé par les accusations de trahison dirigées contre lui, s’était décidé à faire appel à son oncle et à implorer son secours. Frédéric le Grand répondit « par beaucoup d’observations mais peu de promesses » à la demande du prince d’Orange. Le roi de Prusse pensait plus souvent à la Bavière qu’à son neveu et désirait rester en bons rapports avec la France. « La cour de Versailles l’a mis à l’aise quant à l’échange de la Bavière, écrivait sir James Harris. Je suis, quant à moi, fort disposé à croire que la France et la Prusse se comprennent secrètement et qu’elles sont camarades. Elles se disent, comme les médecins de Molière : « Passez-moi la rhubarbe et je vous passerai le séné, » et la France déclare : « Prusse, laissez-moi tranquille en Hollande, et vous n’aurez rien à craindre en Bavière. » L’influence française est au point culminant.

Détruire cette influence, la remplacer par l’action de la Grande-Bretagne, tel fut le but suprême poursuivi par sir James Harris. Son plan de campagne fut vite arrêté. Il fallait donner au parti orangiste une impulsion plus vive et plus nette; amener un accord sur les affaires des Pays-Bas entre la cour de Londres et celle de Berlin. Pour réveiller le courage du parti stathoudérien, ce ne fut pas au prince et à ses amis que s’adressa le ministre d’Angleterre; car «jamais mortels ne furent composés d’argile aussi inanimée, aussi dénuée du feu de Prométhée. « Il résolut d’entrer en relations constantes et suivies avec la princesse elle-même. « Elle m’a parlé, avec beaucoup de sagesse et de bon sens, de sa situation, écrit-il. Ma seule crainte est de perdre le prince pendant que je tourne autour de la princesse. Il est si jaloux, non de sa vertu, mais de son bon sens et de son autorité, qu’il n’irait pas au paradis s’il devait y arriver