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incisif, quelque chose enfin de mordant comme la pointe sur le cuivre. On voit chez lui partout la force, sans jamais sentir la tendresse. Son héroïne elle-même, la blanche Diane de Turgis, a plus de sens que de cœur. Elle mêle à son amour presque des raffînemens de courtisane. Elle reçoit son amant dans une retraite galante, dans une alcôve éclairée de bougies roses, où des cassolettes brûlent au pied d’un lit de satin cramoisi. Elle parait, masquée de velours ; elle irrite le désir impatient de Mergy par mille feintes et mille réticences. Le jeune homme finit par douter lui-même s’il est près de Diane, et ce n’est qu’en le voyant hésiter que, brusquement, l’ardente comtesse se livre à lui.

La chaste Isabelle, du Pré aux Clercs, n’a pas de ces transports, ni les narines frémissantes de Diane, ni ces yeux dont la pupille se dilatait comme celle des chats, ces yeux dont les regards devenaient de feu.

Moins sensuel que Mérimée, Herold est aussi moins cruel. La scène du repas de Mergy, au premier acte, ne tourne pas aussi mal que la querelle de Vaudreuil et de Rheincy. Le duel final même est moins brutal. Voyant Comminge mort, un des témoins dit aux autres : « Regardez son sourcil et sa joue, la coquille du poignard s’y est imprimée comme un cachet dans de la cire. » De tels détails, froidement jetés, font frissonner. L’œuvre d’Herold est, en général, d’un ton moins cru, Mérimée, peut-être, est plus conforme à la vérité historique, à l’esprit d’une époque où les passions étaient effrénées, l’amour sans retenue et la haine sans merci: mais Herold nous touche davantage. Il nous émeut, et le secret de la beauté artistique est dans l’émotion.

Nous signalions plus haut la mélancolie d’Herold ; bien plus que Zampa, le Pré aux Clercs est pénétré de cette tristesse attirante. Elle est jetée comme un voile, elle passe comme une ombre sur certaines phrases : le premier chant de l’ouverture, le début du grand air d’Isabelle, l’adorable plainte de la reine : Je suis prisonnière, loin du beau pays! Tout le rôle d’Isabelle est empreint de cette grâce attendrie, vague langueur, douce ivresse,


Où la bouche sourit et les yeux vont pleurer !


sentiment indéfinissable qui s’exhale de l’œuvre entière et lui donne un goût particulier, tout différent de la saveur un peu âpre de Mérimée.

Cependant le cœur d’Herold n’a pas égaré son imagination. Il a bien rendu la couleur de l’époque. Dans de moindres proportions, le Pré aux Clercs est un tableau d’histoire digne des Huguenots,