Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’alourdit et la dénature. La dernière moitié de l’ouvrage, pour reprendre le mot de je ne sais quel critique avisé, gagnerait beaucoup à être supprimée. Baucis rajeunie et retrouvant des vocalises d’écolière, Baucis faisant la gentille avec Philémon et la coquette avec Jupiter, n’a plus rien pour nous charmer. Elle était autrement touchante avec ses rides et ses cheveux blancs.

L’amitié modéra leurs feux sans les détruire,
Et par des traits d’amour sut encor se produire.


Voilà la nuance que le poète indique et qu’il eût fallu garder partout. Le musicien l’a délicieusement rendue dans le premier duo, familière causerie des deux vieillards qui rentrent au crépuscule en parlant de leur longue tendresse. Leurs deux voix sont presque toujours unies ; si par hasard elles se séparent, l’une achève la phrase par l’autre commencée. Ils devisent doucement, les bons petits vieux, et leur double chanson se mêle comme leur double vie.

Avec la sérénité de leur entretien, le chœur des bacchantes fait un admirable contraste. Il exprime bien la joie antique ; il évoque l’image des vierges de Virgile foulant les sommets du Taygète.

Ce chœur mêle une note éclatante, le retentissement des cymbales grecques, au premier acte de Philémon, dont le ton général est recueilli, où l’esprit même est discret, distingué, témoin la phrase de Jupiter : Si Vénus à la légère. Là, comme dans la douce romance de Baucis, dans le petit quatuor du repas, dans l’incantation tout olympienne de Jupiter faisant descendre le sommeil sur ses hôtes pieux, partout se rencontre le contour élégant des mélodies de M. Gounod, la justesse du sentiment et la pureté de la forme.

Hélas l’on ne saurait parler de l’antiquité dans la musique sans être contraint de rappeler la Galathée de Victor Massé.

Les Athéniens d’aujourd’hui ne tolèrent, dit-on, sur leurs théâtres, ni Orphée aux enfers, ni la Belle Hélène. C’est Galathée qu’ils en devraient proscrire; c’est le pastiche équivoque, plus que la franche parodie, qui pourrait blesser chez eux le pieux respect de leurs légendes passées et de leurs divins mensonges. Pygmalion épris de la vierge d’ivoire! la fable n’imagina jamais de mythe plus gracieux; Vénus jamais ne consacra de plus idéales amours. Il fallait ici un autre maître que l’auteur des Noces de Jeannette et de la Nuit de Cléopâtre. Qui nous refera Galathée? Qui donnera la véritable vie à la statue? Je voudrais que M. Massenet reprit ce délicieux sujet; qu’il le traitât soit en opéra comique, soit en scène lyrique, comme son