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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/21

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avec quelque assurance. Mais le règne de David laissa des souvenirs militaires d’un étonnant caractère de réalité, dont quelques lambeaux sont venus jusqu’à nous[1]. Le règne de Salomon laissa des pages administratives[2] qu’il est plus difficile de re- connaître dans la prose effacée des histoires postérieures. On réci- tait quelques chants dont David était censé l’auteur[3], mais que sans doute il n’écrivit pas. Salomon fit probablement compiler des maschal et des schir, plutôt qu’il n’en composa lui-même. Ce qui paraît sûr, c’est que, vers l’époque de la mort de Salomon, il y avait des divans de poésies lyriques et paraboliques, des recueils de proverbes, des récits militaires, des listes ou registres, œuvres des soferim et des mazkirim de la cour. Il y avait surtout de nombreux toledot, ou généalogies, bases de la future histoire primitive de la nation.

Cette littérature des temps de David et de Salomon avait un caractère presque exclusivement profane. Le piétisme Israélite, œuvre des prophètes, n’était pas encore né. Certes Iahvé n’était point absent des cantiques de cette époque reculée, pas plus que les dieux ne sont absens des poèmes homériques ; mais le but n’était ni l’édification ni la propagande ; c’étaient des œuvres laïques, comme on dirait aujourd’hui, dont l’unique but était de confier à l’écriture un trop plein dont la mémoire était déjà surchargée.

Dans les âges antiques, la littérature la plus importante n’était pas toujours celle qu’on écrivait ; c’était celle que la nation tenait dans ses souvenirs. n’existait-il pas, dès le temps de David et de Salomon, un commencement d’Histoire sainte, un commencement de rédaction des souvenirs héroïques de la nation? Le canevas de l’Hexateuque n’était-il pas déjà tracé par écrit? Le vieux fonds d’idées, probablement babyloniennes, que le peuple portait comme le fond le plus ancien de son bagage traditionnel, n’était-il pas en partie fixé par l’écriture? Cela est possible, cela n’est pourtant pas probable. Les règnes de David et de Salomon furent des époques de progrès, de civilisation, non des retours vers le passé patriarcal. Les prophètes, qui vivaient de ces souvenirs, furent réduits à un rôle secondaire. Ils ne retrouvèrent leur importance qu’après la mort de Salomon, quand les Ephraïmites et les tribus du Nord, chez lesquels esprit de tribu vivait encore énergiquement, tournèrent le dos à Jérusalem, au temple, à la royauté qui s’organisait au Sud sur la base de l’hégémonie de la tribu de Juda,

  1. Surtout les notes sur les gibborim. Il Sam. XXIII, 8 et suiv.
  2. La liste des préfets, la carte de géographie du chap. X de la Genèse, etc.
  3. Par exemple, l’élégie sur la mort de Jonathas, le dire sur la mort d’Abner.