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pages paraissent avoir offert beaucoup d’analogie avec les fables phéniciennes conservées dans les lambeaux de Sanchoniathon. De là venaient tant de passages qui restèrent inintelligibles pour les rédacteurs d’un âge plus moderne, et qui sont comme des trous obscurs dans le texte actuel de la Bible; par exemple, le IVe chapitre de la Genèse, si analogue aux mythes phéniciens sur les premiers inventeurs; ce chant de Lamech à ses femmes, problème des plus singuliers; le récit (retouché) sur l’amour des fils de Dieu pour des filles des hommes et sur les géans qui sortent de ce commerce ; l’épisode de l’ivresse de Noé et de la malédiction de Cham ou Chanaan, et la cantilène ethnographique qui s’y rattache; le chapitre XIV de la Genèse, sorte de fenêtre ouverte sur la plus haute antiquité; le chapitre XV du même livre, premier récit de l’alliance de Iahvé et d’Abram, plein d’énigmes, et où le sacrifice d’Abram est raconté avec une étrange sauvagerie.

On peut rapporter à la même source le très curieux chapitre XX de la Genèse, contenant l’aventure d’Abraham chez Abimélek; on reconnaît la trace du même document dans ce qui concerne Ismaël, dans le récit du sacrifice d’Isaac, puis d’une manière presque continue dans l’histoire d’Isaac, et dans toute cette légende de Jacob, empreinte d’un cachet si frappant de mythologie, de sublimité grossière, d’idéalisme concret. L’étonnante beauté de cette partie de la Genèse vient tout entière du vieux narrateur oublié du Xe siècle. Le fleuron du livre était ce charmant roman de Joseph, le plus ancien des romans et le seul qui n’ait pas vieilli. Le plan général et les parties essentielles de ce délicieux récit existaient déjà, parfaitement caractérisés, dans la plus ancienne rédaction des dires légendaires du Nord.

En quel état la légende de Moïse figurait-elle en ce récit primitif? C’est ce qu’il est d’autant plus difficile de conjecturer que nous ne savons pas au juste si les mentions de Moïse se trouvaient dans le livre des Légendes patriarcales, ou dans le livre des Guerres de Iahvé dont nous parlerons bientôt, ou dans les deux. Le singulier passage où Iahvé rencontre Moïse dans une des gorges du Sinaï, veut le tuer et ne lâche prise que quand Sippora a circoncis son fils, appartenait sans doute au plus ancien texte. La théophanie du Sinaï était peut-être l’occasion d’un renouvellement de l’alliance de Iahvé et de son peuple. Ce qui est sûr, c’est que le caractère céraunien de Iahvé était fortement accusé. La foudre, l’éclair, le nuage sombre, la tempête, sont déjà, en ces vieilles pages, l’accompagnement indispensable des apparitions de Iahvé.

Le livre était essentiellement un livre israélite, dans le sens que le schisme des dix tribus avait consacré. Le but qu’on s’y proposait était de faire valoir les légendes israélites du Nord, d’expliquer