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le sabbat[1] par le repos du septième jour. A Babylone et à Harran, le récit cosmogonique s’embrouillait sans doute de détails mythologiques, qui devaient blesser une raison quelque peu sobre. La simplicité claire du génie hébreu et la limpidité de la narration hébraïque supprimèrent ces exubérances et firent de cette première page un chef-d’œuvre dans l’art, requis pour certains sujets, d’être à la fois clair et mystérieux.

Les idées de l’auteur hiérosolymite sur la primitive humanité sont bien plus simples que celles de l’auteur du Nord. Il ne connaît ni Eve ni Abel. Adam n’a qu’un fils connu, c’est Seth. De Seth à Noé, il y a dix générations de patriarches à très longue vie, Énos, Qénan, Mahalalel, Iared, Hanoch, Métusélah, Lamech, Noé. On remarquera que ces noms des patriarches séthites sont identiques, à très peu de chose près, aux noms des caïnites dans la légende du Nord. Mahalalel et Lamech figurent dans les deux listes. Iared et Irad sont le même personnage ; Métusélah et Metusaël diffèrent à peine. Hanoch, là-bas fils de Qaïn, est ici un saint homme, qui marche avec Dieu et que les élohim prennent avec eux au ciel. On suppose, non sans vraisemblance, que ces séthites de l’Hiérosolymitain, ou caïnites du Nord, sont les dix rois mythiques qui, dans le système chaldéen, remplissent l’intervalle de la création au déluge. Il y a même, entre les chiffres de la vie des patriarches séthites et la durée du règne des rois chaldéens, des correspondances singulières, que M. Oppert a relevées.

Le récit du déluge est très analogue dans les deux rédactions de l’Histoire sainte, très analogue aussi au prototype chaldéen qui a été découvert de nos jours. La fin seule diffère sensiblement dans les deux récits bibliques. Le sacrifice que le rédacteur du Nord place à la fin du déluge n’existe pas dans le récit du Sud. L’auteur de Jérusalem aime à rattacher aux grands événemens historiques les principes fondamentaux de la morale et de la loi. De même qu’il a rapporté à la création l’établissement du sabbat, il rattache au déluge un pacte entre Dieu et l’humanité, qui a ses préceptes (ce qu’on a plus tard appelé les préceptes noachiques). La nourriture animale, que l’auteur, végétarien décidé, suppose avoir été jusque-là interdite à l’homme, lui est maintenant permise. Les préceptes sont l’horreur du meurtre et la défense de manger la chair avec son âme, c’est-à-dire avec son sang; le signe de l’alliance nouvelle, c’est l’arc-en-ciel.

Le goût du rédacteur hiérosolymite pour les généalogies, ou plutôt

  1. L’idée du sabbat est probablement originaire de Babylone. Elle a dû éclore non chez des nomades au travail intermittent, mais dans une civilisation bâtissante, fondée sur le travail servile.