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saintes, comme on gardait autrefois les corps des ancêtres ; ailleurs, il y avait des voleurs de corps saints, et une loi de Théodose interdit « d’exhumer les martyrs et de les vendre. » Pour éviter ces profanations, on transporta les reliques dans les églises où on les plaça d’ordinaire sous les autels, et le culte des saints commença. Les chrétiens éclairés, les docteurs et les évêques prémunirent les fidèles contre les dangers d’une idolâtrie nouvelle ; aux polémistes païens qui leur reprochaient d’avoir troqué les idoles contre les martyrs, ils répondirent que l’église honore ses saints pour proposer leur vie en exemple et qu’elle réserve l’adoration à Dieu seul ; mais la masse des hommes retrouvait les héros et les dieux d’autrefois dans ces personnages sacrés qu’elle invoquait par leur nom, dont elle savait l’histoire et dont elle touchait les tombeaux. Dans les églises placées sous l’invocation de tel ou tel bienheureux, les prières, au lieu de monter jusqu’à Dieu, s’arrêtèrent au médiateur, d’autant plus volontiers que celui-ci manifestait par des miracles plus fréquens sa puissance personnelle. La relation simple et directe de l’homme avec Dieu fut compliquée par cette multiplicité des intermédiaires et l’universel divin localisé.

En même temps la simplicité du culte primitif était altérée par l’organisation d’un cérémonial solennel. Les modestes lieux de réunion où les premiers chrétiens priaient, prêchaient et célébraient la commémoration de la cène sont remplacés par des temples superbes divisés en deux parties : l’une, réservée aux fidèles ; l’autre, plus élevée, où le clergé siège sur des trônes. L’esthétique du service divin, que les païens avaient portée à la perfection et que les premières communautés chrétiennes avaient dédaignée, reparaît. L’église par le à l’imagination et aux sens par le bel ordre de ses pompes et l’éclat des vêtemens sacerdotaux, par les parfums, par la musique et par les peintures qui retracent sur les murailles les grandes scènes de l’histoire de la foi. Plus se multiplient et s’embellissent ces pieuses représentations données par le clergé, plus les fidèles sont réduits au rôle des spectateurs. Leur voix ne se mêle plus à celle des prêtres que pour chanter le Kyrie eleison ; ils doivent écouter et se taire, en vertu du précepte de Moïse, qui a dit : — « Écoute, Israël, et tais-toi ! » Encore n’entendent-ils plus que rarement la prédication, qui était jadis la partie essentielle du service divin et qui tombe en désuétude. Assister à la célébration des mystères sacrés est une sorte d’acte matériel : l’église en fait une obligation et elle multiplie les fêtes, qui deviennent de plus en plus brillantes.

Peu à peu se forme une coutume de la dévotion, — consuetudo devotionis, comme dit le pape Léon le Grand, — qui devient obligatoire comme la loi elle-même, car l’église la fait procéder de la