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et, ce qui était plus douloureux encore, elle sollicitait secrètement l’appui de la Prusse. Le comte de Bismarck nous faisait à son sujet d’étranges confidences. Il racontait à notre ambassadeur que Garibaldi lui avait écrit pour réclamer des armes et de l’argent ; mais, soupçonnant un piège de l’Autriche et sachant combien il était aisé d’imiter l’écriture du révolutionnaire italien, il avait répondu à son intermédiaire qu’il ne disposait d’aucune somme dont il ne dût rendre compte, et qu’il ne pouvait distraire aucune arme des arsenaux de la Confédération du Nord. Il confiait aussi à M. Benedetti que le chargé d’affaires du cabinet de Florence était venu lui soumettre une dépêche de son gouvernement qui désirait savoir s’il était disposé à seconder l’Italie et dans quelle mesure elle pourrait compter sur son assistance. Ces confidences, si peu conformes aux usages de la diplomatie régulière, avaient lieu de nous surprendre. Il était permis de se demander comment le ministre prussien savait que l’écriture de Garibaldi était facile à imiter. On pouvait s’étonner aussi qu’il eût reçu un de ses émissaires; n’était-ce pas encourager la révolution?

« Dans quel but, écrivait notre ambassadeur, M. de Bismarck, qui n’est jamais indiscret sans calcul, m’a-t-il spontanément fait ces communications? Craignait-il que nous en lussions informés par d’autres voies ? Ou bien s’est-il uniquement proposé de nous apprendre avec quel empressement les partis et le gouvernement l’italien lui-même sont prompts à s’adresser à la Prusse et combien il lui serait facile de trouver des alliés au-delà des Alpes[1]? » Le comte de Bismarck était cruel dans ses confidences. Il nous révélait l’inanité de l’alliance de 1859, il nous rappelait que nous avions méconnu les intérêts séculaires de la France en sacrifiant à de faux dieux. L’Italie était aujourd’hui une carte maîtresse dans son jeu ; elle nous forçait de détourner notre attention de l’Allemagne, en nous mettant aux prises avec le cabinet de Florence, qui s’irritait des obstacles que nous opposions à ses revendications nationales, et avec le pape qui nous accusait de le livrer à la révolution.


G. ROTHAN.

  1. M. Benedetti, Ma Mission en Prusse.