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sa séquelle ! Leur revanche, obtenue par fraude, n’aurait qu’un temps. Nous comptions jouir, quand nous serions hommes, de leur déroute définitive. L’œuvre dramatique de leur adversaire, de même qu’elle avait eu sa période militante, dont nous imaginions le bruit et l’éclat, de même, après cette oppression, elle aurait sa période triomphante, dont nous verrions le commencement et dont nul ne verrait la fin.

Eh bien ! le théâtre de Victor Hugo, par une équitable vicissitude, a pu atteindre cet âge triomphal ; comme la politique l’avait opprimé, elle a pu l’exalter pour un temps ; mais, comme nous avons vu son exaltation, nous avons vu et nous voyons sa chute. Faut-il décrire encore l’ascension de l’astre au zénith, de 1867 à 1882 ou 85, et de quelle manière il a plongé ? Faut-il rappeler quel ressort, en pesant sur eux jusqu’à se fatiguer, la main de l’empire avait donné aux esprits de la foule, tandis que les nôtres mêmes se bandaient pour vibrer en l’honneur du poète ? Faut-il rappeler cette détente : Hernani, acclamé en 1867, à la fois comme un Cid reconquis et comme la Lanterne en 1868 ? Et puis, en 1870-71, l’apparition de cette tête blanche, et, sur ses lauriers, le képi ? Hugo, premier garde national de France et pape laïque ; grand Français avant M. de Lesseps et grand-prêtre de l’humanité ; grand-lama plutôt, de qui les disciples et les familiers offrent à la foule, comme délectable et adorable, tout ce qui s’échappe de lui ! Hugo, enfin, après soixante-dix et quatre-vingts ans de durée, après autant d’années, ou peu s’en faut, de labeur littéraire, respecté comme le patriarche de l’art ! Tout le public heureux de faire preuve de civisme, de largeur d’âme et de culture d’esprit en acclamant ses drames tirés tout frais du souterrain de l’empire, à la fois neufs et vénérables ! Après Hernani, Ruy Blas et Marion ! Même les drames en prose exhumés ! Même les romans découpés par des mains amies, Notre-Dame-de-Paris et Quatre-vingt-treize, applaudis sur la scène ! Pour un peu, n’y porterait-on pas ces récens poèmes, les Deux trouvailles de Gallus et Torquemada ? Du moins, après le Roi s’amuse, on se propose, au Théâtre-Français, de reprendre les Burgraves. Le directeur de l’Odéon déclare le projet de hisser Cromwell sur les planches. Ainsi tout entière l’œuvre dramatique de Hugo est glorifiée ; elle paraît s’établir, selon les vœux de notre enfance, dans la paix du répertoire.

Cependant, vers la fin de sa vie terrestre, la seconde représentation d’un de ses chefs-d’œuvre, le Roi s’amuse, donnée un demi-siècle après la première, marque au moins un arrêt dans la marche du poète vers le temple : il pourrait y voir, s’il n’était ébloui par les reflets de sa splendeur, un signe de la ruine prochaine de son empire théâtral. Mais, si le char hésite, il continue pourtant de rouler et, chemin faisant, le triomphateur cesse décidément d’être homme ; il arrive au Panthéon, il parait le remplir. Ce jour-là, sans doute, la superstition envers lui est plus apparente que la religion ; n’importe : elle n’en est que le superflu, le