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joué le rôle qu’elle se promettait ; mais, lorsque la paix se fait dans les Balkans, lorsque Serbes et Bulgares désarment, les Hellènes peuvent-ils songer sérieusement à entrer seuls dans une lutte inégale contre l’empire ottoman, à prolonger, à aggraver des complications que tout le monde désire voir finir ? Les Grecs ont sans doute toujours leurs espérances, ils ont les ambitions d’une race brillante qui aspire à reprendre la première place en Orient. Ils ont même, si l’on veut, plus que des espérances, ils ont presque des titres et ils peuvent invoquer jusqu’à un certain point ce qui leur avait été promis au congrès de Berlin. Ils ont vu dans les derniers événemens, qui semblaient remettre en doute les traités, tout l’ordre territorial, une occasion favorable pour exercer leurs revendications, et ils se sont hâtés de s’armer pour profiter des circonstances ; ils ont déployé toutes leurs forces au risque d’épuiser leurs ressources. L’occasion a pu paraître un moment tentante pour eux en effet. Aujourd’hui tout est changé ; la paix est rétablie ou à peu près, et l’Europe, qui n’a jamais eu d’autre préoccupation que de limiter cette crise, n’a pas laissé un instant ignorer à Athènes ce qu’elle désirait, ce qu’elle voulait, ce qu’elle était en définitive résolue à imposer. L’Europe, malgré les sympathies traditionnelles de toutes les grandes nations pour la Grèce, n’a rien négligé pour avertir, pour retenir le gouvernement hellénique, d’abord par ses conseils, par ses communications diplomatiques, et bientôt par la présence de ses navires. Les Grecs ne peuvent douter aujourd’hui, surtout après la récente signature de la paix des Balkans, qu’au premier mouvement ils seraient arrêtés. De plus, quelque dévoûment qu’ils aient déployé dans leurs préparatifs militaires, ils ne sont peut-être pas, autant qu’ils le croient, en mesure de soutenir une guerre. Il n’y a que quelques jours, des lettres venues de la frontière et publiées à Athènes, faisaient de tristes révélations sur l’état de l’armée grecque en face de l’armée turque. De telle façon que tout se réunit pour éclairer la Grèce, pour la ramener à une politique de raison, de résignation, qui peut être, elle aussi, du patriotisme, qui n’est point une renonciation aux espérances nationales, qui est la soumission à la nécessité. La difficulté est toujours sans doute de revenir sur ses pas, d’avouer une pensée de sagesse, et il ne sera probablement pas facile de trouver un successeur au président du conseil, M. Delyannis, qui est depuis quelques mois le ministre des armemens et des passions guerrières. Qui se chargera de cette œuvre de raison et de pacification ? c’est là la question qui se débat aujourd’hui à Athènes, et les Grecs ne simplifieraient pas leurs affaires par des agitations intérieures qui iraient jusqu’à rendre tout gouvernement impossible.

Ce n’est pas en Allemagne que les Grecs, s’ils avaient eu une dernière illusion, auraient pu compter trouver un appui ; ce n’est pas non plus en Angleterre, où M. Gladstone n’a pas caché sa résolution