Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/550

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je revins à Paris après ma déconvenue. Le baromètre était à la tempête. Plus d’espoir de paix ; je ne dis pas plus de chance, car, de chance, il n’y avait jamais eu. L’Europe entière s’ébranlait pour fondre sur nous. Ce n’était pas le moment de s’éloigner.

J’assistai le 1er juin au champ de mai ; il eut lieu au Champ-de-Mars. J’y assistai de loin, n’ayant point goût à la cohue, moins encore à la parade. « Il y a, disait Chamfort, trois choses que je hais au propre et au figuré : le bruit, le vent et la fumée. » Je suis de l’avis de Chamfort.

Je vis passer l’escouade impériale, en grand habit de gala, plumets au vent, chapeaux retroussés, petits manteaux à l’espagnole, pantalons de satin blanc, souliers à bouffettes, et le reste. Cette mascarade, aux approches d’une telle crise, lorsque la France était sur le point de se voir envahie et dépecée, du fait et pour les beaux yeux de ces beaux seigneurs, cette mascarade, dis-je, m’inspira autant d’indignation que de mépris.

Je vis passer la garde et quelques régimens de ligne, l’air martial, la démarche fière, le front soucieux, comme gens prêts à jouer une partie à quitte ou double. En défilant devant l’empereur, leur regard brillait d’un feu ardent et sombre ; on croyait voir errer sur leurs lèvres : Morituri te salulant, et les cris forcenés qu’on leur faisait pousser à commandement gâtaient l’impression sans la détruire. Le discours de l’empereur eut de l’élévation, sans doute, de l’éclat, de la grandeur ; mais il sentait encore beaucoup trop le héros de théâtre, le parvenu à la gloire. Qu’avait-il besoin de se hisser sur des tréteaux pour parler de haut, et d’ouvrir une grande bouche en rappelant de grandes choses ? Était-ce bien le moment d’ailleurs, lorsque la France, réduite par une première invasion à ses anciennes limites, se débattait sous le coup d’une autre et n’y semblait pouvoir échapper que par miracle ? Combien n’avait pas été plus digne d’admiration et de respect ce simple mot de Guillaume III, coupant les digues de la Hollande en face des armées de Louis XIV, en face de Turenne, de Condé, de Vauban, et se raillant de ceux qui se raillaient de ses préparatifs : On peut toujours mourir dans le dernier fossé. Guillaume III n’a conquis ni l’Italie ni l’Egypte ; il n’a gagné ni la bataille de Marengo ni celle d’Austerlitz ; mais il n’a pas livré deux fois son pays à l’étranger ; il n’a pas, trois fois en deux ans, sacrifié cinq cent mille hommes à son fol orgueil ; il serait mort dans le dernier fossé de Waterloo ; on ne l’aurait point vu, jouant le Thémistocle, mendier un asile à la cour du grand roi.

Durant les quelques terribles jours qui suivirent le champ de mai et le départ de l’empereur, je ne quittai guère la chambre des représentans. La chambre des pairs ne comptait pas et n’attirait personne. Je ne fus pas témoin de l’esclandre qu’y fit le maréchal Ney en