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digne que lui du souverain pouvoir. » Pour ce peuple artiste et poète, la beauté était, elle aussi, un don des dieux, et ce souvenir explique les honneurs rendus à Antinoüs par le plus grec des empereurs romains.

On comprend qu’à ce compte chaque cité, chaque bourgade ait en ses patrons divers. Les dix tribus d’Athènes honoraient les héros dont elles portaient le nom. Même au fond de la Phocide, Pausanias trouva des légendes merveilleuses auxquelles il n’a manqué, pour venir jusqu’à nous, que d’être nées en des cités moins obscures. L’oracle de Delphes était habituellement chargé de prononcer la canonisation, en ordonnant de sacrifier au nouveau dieu. Onésilos, ayant soulevé Chypre contre les Perses, fut vaincu et tué par les Amathontins, qui suspendirent sa tête au-dessus d’une des portes de leur ville. Quand elle fut desséchée, des abeilles s’y logèrent et y dressèrent leurs rayons. La Pythie, consultée sur ce prodige, commanda aux gens d’Amathonte d’ensevelir cette tête et d’offrir annuellement à Onésilos les sacrifices accomplis en l’honneur des héros. Ils obéirent et l’historien ajoute : « Cela se fait encore de mon temps. » C’était le culte des saints qui a existé presque partout parce que cette conception religieuse répond à un besoin de la nature humaine ; l’islam même a des saints dans son ciel désert.

Comme nos saints encore, les héros intercédaient pour les humains auprès des grandes divinités. Hélène, fille de Jupiter, fait rendre la vue au poète Stésichore ; Éaque obtient de Zeus, son père, la cessation d’une famine dont Égine souffrait. A Marathon, à Salamine, des héros combattent pour leur peuple, car on les supposait toujours tenus de défendre la cité où ils avaient trouvé leur dernière demeure. Athènes croyait que les ossemens d’Œdipe et de Thésée éloigneraient d’elle tous les maux et elle ne s’inquiétait pas de rechercher si la légende d’Œdipe à Colone n’était pas une fantaisie de poète et la trouvaille de Cimon à Scyros une fraude politique. Orchomène n’avait pas plus de scrupule au sujet des restes du héros Actœon, ni Tégée et Sparte pour ceux d’Oreste. Hésiode même, qui n’avait point compté sur tant d’honneur, devint, par l’intervention de la Pythie, le protecteur divin d’Orchomène, qui alla chercher ses os à Naupacte.

Les apparitions étaient presque aussi fréquentes que dans notre moyen âge. Avec les yeux de l’esprit, dont la vue est si perçante qu’elle pénètre l’invisible, on reconnaissait les dieux, les demi-dieux et les héros, descendus du ciel ou sortis du sépulcre pour assister leurs adorateurs, ou simplement pour attester qu’eux-mêmes n’avaient pas cessé de vivre. Dans les feux du soleil couchant, Achille, toujours jeune et beau, apparaissait couvert de son armure