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dont on a pu se rendre compte en suivant de près les manifestations des groupes socialistes avancés qui se sont produites ces dernières années à Paris, et Paris n’est plus aujourd’hui seulement une capitale politique, c’est encore la capitale du parti des travailleurs en France. Nous avons vu souvent au cœur même de la nation française la thèse de la confiscation du sol au profit de la collectivité inscrite en tête des programmes de réforme sociale. Tout le monde n’entend pas, il est vrai, effectuer de la même manière cette révolution que l’on annonce. A qui serait remise la terre ? A l’état ! répondent les collectivistes. Non, pas à l’état ! s’écrient de leur côté les anarchistes, mais à la commune agricole[1]. Mais ces divergences ont peu d’importance en regard de l’entente qui règne sur le but à atteindre.

Voilà où nous en sommes. S’il y a de bonnes raisons de croire que la question de la propriété foncière ne tiendra jamais de ce côté-ci de la Manche et de l’Atlantique la place qu’elle occupe dans le mouvement socialiste en Angleterre et aux États-Unis, on ne pourrait cependant se flatter qu’elle n’y jouera pas aussi son petit rôle.

En présence des éventualités de l’avenir, la science économique nous parait avoir sa mission et une haute mission à remplir. Peut-être s’est-elle trop renfermée jusqu’ici dans son rôle pédagogique, et cantonnée dans la forteresse des doctrines classiques pour en défendre les abords. Qu’elle ne craigne pas, chaque fois qu’il en vaut la peine, de se porter au-devant des idées nouvelles et de les étudier[2]. A elle de rechercher la part de vérité qui peut s’y trouver mêlée à l’erreur, de séparer l’or pur du plomb vil, ce qui est solide de ce qui n’est que clinquant, et, cela fait, mais en toute bonne foi, avec l’impartialité d’un juge intègre, de dissiper aussi les rêves mauvais, malsains, décevans qui détournent des réformes utiles. A elle d’éclairer l’opinion, de la diriger, de montrer où est le progrès véritable, et de se mettre au travers de ces entreprises stériles qui coûtent cher à tout le monde sans que l’on puisse dire à qui elles profitent réellement.


Louis WUARIN.

  1. Voir, en particulier, le Journal des Économistes, 11, p. 405.
  2. Dans son beau livre sur le Collectivisme, M. Paul Leroy-Beaulieu entrait dernièrement dans cette voie.