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se maintenir, pour s’adapter progressivement à un milieu qui change lui-même, pour accroître enfin ses conquêtes sans perdre ses acquisitions. Dans l’évolution des espèces, cette expansion de l’activité fut toujours une condition de survivance et de supériorité sur les autres espèces.

Maintenant, l’intensité finale de l’action et sa victoire dans la lutte pour l’existence est-elle liée à la quantité brute de l’excitation nerveuse, indépendamment de la qualité ? Léon Dumont l’a soutenu ; M. Wundt lui-même, dans son échelle des intensités de plaisir comparées aux intensités d’excitation, a trop exclusivement considéré la quantité du stimulant et de la réaction nerveuse qu’il provoque. Il en résulte des difficultés sérieuses. Par exemple, comment expliquer que certains sons, certaines odeurs soient désagréables à tous les degrés ? M. Wundt, qui d’ailleurs a trop négligé le point de vue de la sélection naturelle, s’efforce d’échapper à la difficulté en disant que, dans ce cas, « le point d’indifférence » est situé tellement bas pour la sensation qu’il ne se distingue plus du point même où elle atteint « le seuil de la conscience ; » si bien que, quand l’exaltation commence dans la conscience, elle est déjà désagréable[1]. Cette façon de rejeter dans les bas-fonds de l’inconscient la partie du phénomène auquel on ne peut appliquer sa théorie est un moyen trop expéditif. Une dissonance musicale de seconde mineure semble désagréable en elle-même à tous les degrés, faut-il croire qu’elle commence par nous donner un plaisir inconscient[2] ? Fixez votre regard sur une surface blanche modérément éclairée, vous ne sentez ni fatigue ni déplaisir, mais aussi vous n’éprouvez qu’un faible plaisir positif. Maintenant, substituez une surface bleue à la surface blanche : le bleu, dont le rayon était déjà présent dans la lumière blanche comme un de ses élémens constitutifs, se trouve maintenant présenté séparément à votre œil par l’élimination des autres élémens lumineux ; or, votre plaisir est instantanément accru. Cet accroissement de plaisir est-il dû à un simple accroissement du « stimulus ? » — Non, semble-t-il, car le stimulus physique est, au contraire, diminué de tout le total de lumière éliminée. Votre plaisir n’est pas dû non plus à une diminution de fatigue, car le blanc n’avait rien de fatigant. L’agrément du bleu doit donc tenir plutôt au mode qu’au degré de l’action nerveuse. De plus, il doit y avoir ici un effet de l’hérédité et de la sélection : depuis des siècles innombrables, les êtres animés reçoivent les rayons bleus du ciel sous lequel ils vivent : ils en ont l’accoutumance héréditaire, ils se sont adaptés à ce milieu lumineux des jours sereins comme aux (1)

  1. Psychologie physiologique, t. I.
  2. Voir sur ce sujet M. Gurney, The Power of Sound.