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l’attribuer moins encore au mauvais vouloir de l’Italie qu’aux résistances passionnées du Vatican. Tous nos ambassadeurs s’usaient en vains efforts pour faire entrer la cour de Rome dans la voie des réformes et des transactions. Pie IX se bornait à leur montrer le Christ lorsqu’ils devenaient trop pressans et lui demandaient sur quelle force il s’appuierait si l’appui de la France venait à lui manquer. Toute leur éloquence restait impuissante devant une volonté sereine, immuable.

L’empereur était à plaindre. Pour se maintenir en équilibre entre des intérêts si discordans, et à plus forte raison pour les concilier, il épuisait inutilement les ressources de sa diplomatie. Au Vatican, on lui reprochait ses compromissions avec l’Italie, au palazzo Vecchio, ses tendances cléricales. Nos actes étaient commentés, souvent dénaturés, et dès que nous cédions à une parole ou à une démarche irréfléchie, nous étions pris à partie. C’est ainsi que la mission du général Dumont fournit matière au gouvernement italien à de vives récriminations. Le général avait été envoyé à Rome pour inspecter la légion d’Antibes, qui, au lendemain d Aspromonte, avait été formée par des soldats français libérés, à la solde et sous le commandement du saint-siège. Ces soldats ne pouvaient se sentir liés par la religion du patriotisme, sous les ordres et au service d’un souverain étranger. On leur avait parlé de sainte croisade et ils se trouvaient chargés de luire l’office de gendarmes, de réprimer des aspirations généreuses. Ils n’étaient pas, comme les zouaves pontificaux, inspirés par la foi céleste, ils représentaient les idées de 1789. De nombreuses désertions menaçaient l’existence de la légion, et le maréchal Niel avait jugé utile l’envoi d’un officier général pour remonter son moral et lui rendre la discipline[1]. La vue de l’uniforme français devait du même coup rassurer le Vatican et servir d’avertissement à l’Italie après les troubles qui avaient éclaté dans la péninsule. « Dites bien, écrivait le maréchal au colonel de la légion, que nous avons les yeux sur elle, que je souffre profondément de tout ce qui est une injure à son drapeau. » Le ministre de la guerre révélait par cette lettre la solidarité qui existait entre la légion d’Antibes et l’armée française. Il ne cachait pas l’intervention du gouvernement français entre le pape et ses sujets, entre Rome et l’Italie.

  1. Dépêche du comte Armand, chargé d’affaires de France à Rome. — « Les soldats étaient poussés à l’indiscipline par les agens du parti d’action. Beaucoup se sentaient troublés par le bruit des discussions politiques et religieuses qui, du mess de leurs officiers arrivaient jusque dans les casernes. Ils étaient dans des conditions d’existence différentes qu’en France, ils n’étaient plus régis par le même code de justice ; ils ne pactisaient avec personne, on les considérait comme des étrangers ; ils s’ennuyaient et la nostalgie s’emparait de leur esprit. »